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NOUVELLES – Six nouvelles composent ce nouveau recueil des œuvres de Kafū Nagaï, que viennent de sortir les Éditions Cambourakis poursuivant ainsi, à la suite de La Saison des Pluies paru il y a quelques mois, une réédition d’ouvrages autrement devenus introuvables. Six textes bien différents quant à leur taille, mais très semblables quant au fond.
Kafū Nagaï poursuit ses observations du milieu de la nuit dans les rues
de la ville de Tokyo profondément meurtrie par l’important séisme de
1923 qui a détruit de nombreux quartiers, que les incendies qui ont
suivi ont fini de réduire en cendres.
Inévitablement ce désastre s’est traduit par des impacts sur la société japonaise qui, parallèlement, voyait introduire des mœurs occidentales rapportées par des voyageurs tant depuis l’Europe que depuis l’Amérique.
Et l’arrivée de la voiture automobile participe encore à ces bouleversements dans le pays : nouveau moyen de locomotion, les taxis remplacent peu à peu les pousse-pousse alors que restent encore présentes à l’esprit les railleries qui fusaient lorsque ces derniers ont pris progressivement la place des palanquins (« Voitures de nuit »), instaurant une modernité pourtant bien vite elle-même dépassée.
Mêmes évolutions dans les mœurs et les habitudes vestimentaires ou dans les comportements des courtisanes, geishas, prostituées qui adaptent leurs stratégies avec toujours une longueur d’avance sur les lois qui entendent réguler leur pratique : « N’est-il pas singulier que plus le filet des lois se resserre, plus se développe l’ingéniosité pour y échapper ? »
Spectateur attentif de ces évolutions, Kafū Nagaï semble rapporter, dans ces nouvelles tracées à grands coups de plume précise et énergique, des histoires telles que pourraient les recueillir un journaliste en reportage das ces rues sombres où des hommes plus ou moins fortunés installent leurs favorites au vu et au su de tout le voisinage, mais loin des soupçons de leurs épouses légitimes, en bénéficiant de la complicité d’amis ou, tout simplement, de subordonnés de leur entreprise !
Mais ces favorites ont une situation bien précaire, car si leur jeunesse et leur beauté sont leurs atouts, elles sont loin d’être éternelles. Et si les hommes qui les ont choisies y sont sensibles, c’est parce qu’ils ne veulent plus de leur épouse légitime « âgée d’environ quarante-cinq ans (…) laide et [ayant] perdu tous ses charmes ??? » !!! (Cheveux bouclés).
Pour autant, la rigidité de la morale, un certain code de la droiture sinon de l’honneur, une vision de la société et de la bienséance générale semblent rester une préoccupation du narrateur (ou tout au moins des personnages auxquels il donne la parole) tout en considérant que, aux marges de cette rigidité, il doit rester une zone d’ombre dans laquelle les hommes peuvent se libérer de la bride que les convenances leur gardent sur le cou, ailleurs dans leur vie !
Zone d’ombre dans laquelle les femmes n’ont pas d’autre rôle que celui d’objets de convoitise, de désir et de possession. Quand ce n’est pas tout simplement l’affichage de la puissance économique !
Loin de moi d’afficher des idées sexistes, bien sûr et bien au contraire, mais j’avoue être fasciné par cette société si rigide et parallèlement si permissive dont j’ai beaucoup de mal à entendre les codes. C’est, pour moi, faire un peu d’ethnologie que de découvrir, dans les livres de Kafū Nagaï, une société, certes révolue, du moins je le pense et l’espère, dont j’ignore tout, mais dont ce que je perçois par bribes m’intrigue et fait de ces lectures une véritable curiosité.
Les estampes du mont Fuji et de son sommet enneigé, les photos de jardins tellement sophistiqués et contraints avec leurs arbres en fleurs, l’incroyable beauté des décorations des armes anciennes que j’ai pu découvrir au Musée Ca'Pesaro de Venise, tous participent de cette fascination devant une culture tellement différente dont les livres de Kafū Nagai sont une autre facette et, si vous ne le connaissez pas, dont je vous recommande la lecture.
Kafū Nagai, trad. Roger Brylinski – Voitures de nuit – Cambourakis – 9782366244960 – 10 €
Kafū Nagaï, guide du quartier des plaisirs de Tokyo
NOUVELLES – Six nouvelles composent ce nouveau recueil des œuvres de Kafū Nagaï, que viennent de sortir les Éditions Cambourakis poursuivant ainsi, à la suite de La Saison des Pluies paru il y a quelques mois, une réédition d’ouvrages autrement devenus introuvables. Six textes bien différents quant à leur taille, mais très semblables quant au fond.
Inévitablement ce désastre s’est traduit par des impacts sur la société japonaise qui, parallèlement, voyait introduire des mœurs occidentales rapportées par des voyageurs tant depuis l’Europe que depuis l’Amérique.
Et l’arrivée de la voiture automobile participe encore à ces bouleversements dans le pays : nouveau moyen de locomotion, les taxis remplacent peu à peu les pousse-pousse alors que restent encore présentes à l’esprit les railleries qui fusaient lorsque ces derniers ont pris progressivement la place des palanquins (« Voitures de nuit »), instaurant une modernité pourtant bien vite elle-même dépassée.
Mêmes évolutions dans les mœurs et les habitudes vestimentaires ou dans les comportements des courtisanes, geishas, prostituées qui adaptent leurs stratégies avec toujours une longueur d’avance sur les lois qui entendent réguler leur pratique : « N’est-il pas singulier que plus le filet des lois se resserre, plus se développe l’ingéniosité pour y échapper ? »
Spectateur attentif de ces évolutions, Kafū Nagaï semble rapporter, dans ces nouvelles tracées à grands coups de plume précise et énergique, des histoires telles que pourraient les recueillir un journaliste en reportage das ces rues sombres où des hommes plus ou moins fortunés installent leurs favorites au vu et au su de tout le voisinage, mais loin des soupçons de leurs épouses légitimes, en bénéficiant de la complicité d’amis ou, tout simplement, de subordonnés de leur entreprise !
Mais ces favorites ont une situation bien précaire, car si leur jeunesse et leur beauté sont leurs atouts, elles sont loin d’être éternelles. Et si les hommes qui les ont choisies y sont sensibles, c’est parce qu’ils ne veulent plus de leur épouse légitime « âgée d’environ quarante-cinq ans (…) laide et [ayant] perdu tous ses charmes ??? » !!! (Cheveux bouclés).
Pour autant, la rigidité de la morale, un certain code de la droiture sinon de l’honneur, une vision de la société et de la bienséance générale semblent rester une préoccupation du narrateur (ou tout au moins des personnages auxquels il donne la parole) tout en considérant que, aux marges de cette rigidité, il doit rester une zone d’ombre dans laquelle les hommes peuvent se libérer de la bride que les convenances leur gardent sur le cou, ailleurs dans leur vie !
Zone d’ombre dans laquelle les femmes n’ont pas d’autre rôle que celui d’objets de convoitise, de désir et de possession. Quand ce n’est pas tout simplement l’affichage de la puissance économique !
Loin de moi d’afficher des idées sexistes, bien sûr et bien au contraire, mais j’avoue être fasciné par cette société si rigide et parallèlement si permissive dont j’ai beaucoup de mal à entendre les codes. C’est, pour moi, faire un peu d’ethnologie que de découvrir, dans les livres de Kafū Nagaï, une société, certes révolue, du moins je le pense et l’espère, dont j’ignore tout, mais dont ce que je perçois par bribes m’intrigue et fait de ces lectures une véritable curiosité.
Les estampes du mont Fuji et de son sommet enneigé, les photos de jardins tellement sophistiqués et contraints avec leurs arbres en fleurs, l’incroyable beauté des décorations des armes anciennes que j’ai pu découvrir au Musée Ca'Pesaro de Venise, tous participent de cette fascination devant une culture tellement différente dont les livres de Kafū Nagai sont une autre facette et, si vous ne le connaissez pas, dont je vous recommande la lecture.
Kafū Nagai, trad. Roger Brylinski – Voitures de nuit – Cambourakis – 9782366244960 – 10 €