Depuis quelques jours, la polémique gronde autour d'un ouvrage des éditions Milan, On a chopé la puberté, signé par Mélissa Conté Grimard et Séverine Clochard, avec des illustrations d'Anne Guillard. Sur le sujet délicat de l'adolescence et de la puberté féminine, le livre est accusé de véhiculer des clichés sexistes, de limiter les préoccupations des jeunes filles et ainsi de participer à une légitimation de la « culture du viol »...
Des photographies de quelques pages du livre On a chopé la puberté, publié par les éditions Milan, auront suffi à enflammer la polémique. Le collectif « La rage de l'utérus » a ainsi critiqué l'ouvrage sur sa page Facebook, en le qualifiant d'ouvrage « imprégné de la culture du viol ». Le collectif dénonce la plupart des propos tenus dans le livre, mais aussi les illustrations, qui ne font voir « [q]ue des filles blanches, minces, cisgenres, valides et bien entendu hétérosexuelles », d'après lui.
Dans un « livre moisi de stéréotypes », le collectif relève des propos qui stigmatisent des réalités, comme « les tétons qui pointent » ou le surpoids, et évite d'évoquer d'autres réalités plus cruciales, comme le harcèlement ou les causes des règles douloureuses, entre autres. « Et dites donc Milan, puisque vous parlez règles douloureuses, ça vaudrait peut-être le coup, plutôt que de “sécher le sport”, de conseiller de consulter ? On rappelle qu'une femme sur 7 est atteinte d'endométriose et que les diagnostics se font parfois après des années de souffrance. Donc parfois, quand on a mal on va pas juste “faire avec”, souffrir en silence contre sa bouillotte », explique ainsi le collectif.
Anne Guillard, illustratrice du livre, rappelle tout d'abord que le ton humoristique du livre, et plus largement de la collection « Pipelettes », provient du fait que « [l]e livre sur la puberté est présenté par les auteures comme étant “rédigé” par les 4 ados elles-mêmes », nous explique-t-elle par email. En effet, les 4 jeunes filles présentées dans le livre sont à l'origine apparues dans le magazine Julie, pour lequel Anne Guillard les a créées. « Il s'agit d'une BD largement AUTOBIOGRAPHIQUE, où je me représente MOI avec mes trois copines d'enfance, à qui j'ai dédié ces BD », écrit-elle.
À ce titre, elle revient sur le reproche du manque de diversité des personnages : « J'ai simplement dessiné mes VRAIES copines qui sont de VRAIES filles bien réelles, et pas des concepts commerciaux calibrés pour répondre à des quotas de représentativité inclusive (d'où le fait que 2 héroïnes portent le même prénom, pas très vendeur commercialement). Pour l'ironie de l'histoire, dans la vraie vie l'une de ces 3 amies est une métisse d'origine asiatique, et moi d'origine algérienne... (pardon ne ne pas l'avoir dessinée avec un bol de riz et un chapeau pointu pour exalter ses origines asiatiques, et de ne pas m'être dark-facée pour revendiquer mon label qualité “50 % origine maghrébine”...) », souligne Anne Guillard.
L'illustratrice d'On a chopé la puberté le reconnaît : « [N]ous sommes toutes hétérosexuelles, désolée. Pourtant j'avais pris soin de laisser volontairement la rousse “sans histoire d'amour” dans les BD, justement car il s'agit avant tout d'une militante passionnée par les combats féministe et écolo, et que je ne souhaitais pas voir toutes les héroïnes obsédées uniquement par les amourettes adolescentes », précise-t-elle.
Par ailleurs, ce sont les origines autobiographiques de la bande dessinée qui ont guidé les caractères des personnages : « [M]on propre personnage très immature cherche toujours à gonfler ses soutiens-gorge pour paraître plus âgée... Les auteures ont logiquement voulu consacrer une double page à ce complexe fréquent de la puberté. Elles y rappellent que les petites poitrines sont aussi bien que les autres, et tournent en dérision la plupart des soi-disant “techniques” pour grossir ses seins que les ados peuvent trouver sur le net », indique Anne Guillard, qui précise qu'à côté de son personnage immature, on trouve une fille passionnée par la littérature, et une autre qui défend les causes féministes et écologiques. « Ça s'appelle la diversité, parce que toutes les filles ne sont pas des clones. »
L'illustratrice déplore des commentaires sur le livre « incroyablement agressifs, comme à chaque lynchage sur les réseaux sociaux : on appelle au retour de l'autodafé, sans avoir ouvert les bouquins et d'après des extraits hors-sol ».
« Les éditeurs ont une responsabilité »
Du côté du collectif « La rage de l'utérus », on indique avoir « découvert cet ouvrage lorsqu’une personne a posté trois photos dans un groupe militant féministe dont nous faisons partie ». Sur la page Facebook des éditions Milan, les commentaires négatifs portant sur le titre ont commencé le 28 février dernier, tandis que le post du collectif remonte à ce 1er mars.« Les éditeurs ont une responsabilité sur le contenu de leurs publications. Ils ont une ligne, des valeurs, une image », précise une membre du collectif. « Ici l'ouvrage diffuse des principes que l'on rassemble sous la notion de “culture du viol” (par exemple, si la jeune fille s'attire des remarques relevant du harcèlement sexuel, il lui est conseillé de modifier sa tenue, plutôt que d'apprendre à détecter, condamner et se défendre de ce harcèlement) faire porter la responsabilité du harcèlement ou d'une agression sexuelle sur la victime, c'est une composante de la culture du viol, qui ignore ou dédouane le comportement des agresseurs. »
Dans l'ouvrage, alors qu'une jeune fille subit des remarques lancées par un garçon sur les tétons qui apparaissent sous son t-shirt, on conseille de choisir « un modèle de soutien-gorge avec un tissu plus épais » ou encore de « superposer deux débardeurs ».
Une pétition postée sur Change.org demande à l'éditeur de retirer l'ouvrage de la vente : en quelques heures, elle a recueilli plusieurs milliers de signatures. Elle n'émane toutefois pas du collectif, et le retrait de l'ouvrage n'est pas réclamé par tous les membres de ce dernier. Le collectif souhaite avant tout informer sur ces contenus et sur leur impact sur les jeunes filles : tout d'abord, parce que des publicités pour l'ouvrage ont été publiées dans Causette ou Inter-CDI, « qui agissent comme un tiers de confiance : des personnes vont acheter ou commander cet ouvrage sans avoir connaissance de son contenu ». Et pourraient le regretter après avoir découvert le livre.
Un livre sur la puberté accusé de promouvoir “la culture du viol”
En effet, c'est le format de l'ouvrage qui semble surtout poser problème
: une bande dessinée d'Anne Guillard ne se serait pas attiré la même
défiance, tandis qu'
On a chopé la puberté
, présenté comme un manuel, dérange. «
On ne reproche pas aux auteures d'aborder des sujets
"futiles"
, mais de les présenter comme une fin en soi, un objectif unique pour toutes les jeunes filles
», indique Angèle, membre du collectif.
« “Enfin tu vas pouvoir [te maquiller - porter des talons - passer des heures dans la salle de bain - consommer]”.
Les Pipelettes se présentent comme un stéréotype qui semble être
universalisé à toutes les jeunes filles. En réalité si une fille passe
des heures dans la salle de bain, c'est aussi parce qu'elle pense devoir
consacrer ce temps à se trouver acceptable aux yeux d'elle-même et des
autres. Ce n'est pas “cool” (comme le présente ce livre) de devoir se conformer à différentes injonctions d'apparence. »Dans leur propre réponse, les éditions Milan avaient précisé qu' On a chopé la puberté « est un ouvrage documentaire au ton volontairement décalé et humoristique destiné à dédramatiser une période souvent difficile à vivre à l’adolescence. C’est un livre avec un message positif : “tout va bien se passer”. Il faut le lire en entier pour en comprendre le message. »
Séverine Clochard , Mélissa Conté, Ill. Anne Guillard - On a chopé la puberté - Milan - 9782745986634 - 11,90 €
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