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Pouvez-vous nous raconter brièvement le parcours de ces textes réunis sous le titre d`Exégèse, de leur écriture à partir de 1974 à sa publication en français en deux tomes par les éditions Nouveaux Millénaires (2016-2017) ?
Philip K. Dicka entrepris dès mars 1974 de mettre par écrit des visions, rêves et autres expériences diverses qui devaient alimenter sa réflexion prolifique jusqu`à la fin de sa vie, survenue prématurément en 1982. Alité après une extraction dentaire sous anesthésie générale, Dick passe commande d`un antalgique à sa pharmacie habituelle, qui le lui livre à domicile. Se présente donc chez lui en ce jour de février 1974 une jeune fille (brune, évidemment) portant autour du cou un collier en or dont le pendentif représente un poisson stylisé. En ces temps de new age généralisé, cet « ichtyis » se retrouve un peu partout en Californie, sous des formes diverses. Momentanément ébloui, Dick est frappé par une subite révélation : c`est un signe (délire d`interprétation) de reconnaissance tel que celui par lequel se reconnaissaient entre eux les premiers chrétiens, au temps où ils étaient persécutés à et par Rome. de plus, en retournant se coucher Dick est frappé par un rayon de lumière rose. Son épouse, qui était présente, dit qu`un autocollant (en forme de poisson rose, donc) était collé sur la vitre de la fenêtre de salon. À nouveau ébloui Dick verra des phénomènes lumineux pendant plusieurs heures sur les murs de sa chambre (phosphènes). de tout ceci il tire des interprétations à la mesure de ses prédispositions, de ses attentes et de son imagination… C`est le début d`une abondante série de manifestations qu`il tentera d`élucider et dont il se servira pour bâtir son univers…
Ces fragments de ce quePhilip K. Dicklui-même appelait son « Exégèse » ont été réunis en un tome, pour l`édition US, par de fins connaisseurs de son oeuvre qui n`en n`ont gardé qu`environ un dixième, en laissant de côté les passages répétitifs ou par trop obscurs. Les Éditions J`ai Lu ont décidé de faire traduire cette somme pour compléter leur entreprise de retraduction des romans de Dick, à laquelle il faut ajouter la traduction (par moi-même) d`un roman de jeunesse resté inédit :Ô Nation sans pudeur.
Vous traduisez Dick depuis 1994, et êtes aujourd`hui reconnue comme l`une des grandes spécialistes mondiales de cet auteur. Comment avez-vous été contaminée ?
Je suis très loin d`être une grande spécialiste, et encore moins mondiale, j`insiste vraiment BEAUCOUP là-dessus. En effet, je suis avant tout une traductrice. Il est vrai que j`ai réuni dans les années 1990 une anthologie de textes critiques surPhilip K. Dick(Le Kalédickoscope, aux Éditions Encrage/Belles Lettres), et que les éditions Denoël m`ont ensuite confié la tâche de moderniser et harmoniser les traductions des quelque 130 nouvelles de Dick, mais il existe ne serait-ce qu`en France un grand nombre de personnes ayant développé une réflexion très avancée sur cet auteur.
J`ai été « contaminée » comme bien des lecteurs non seulement de Dick mais de SF en découvrant les grands auteurs du genre à la bibliothèque voisine. Mon intérêt s`est ensuite poursuivi par des travaux universitaires et, on l`a vu, éditoriaux.
Dans quel état d`esprit rédige-t-il ces 8 000 feuillets, réduits à 900 dans l`édition américaine dePamela JacksonetJonathan Lethem, que la traduction française reprend ?
Fébrile ! Dick sort alors d`une période très difficile qui a duré plusieurs années et a été marquée par de nombreux coups durs (divorce, cambriolage, hospitalisations dues à une hypertension majeure, tentatives de suicide, errance, brefs internements à sa demande) logiquement marquée par un épisode dépressif sévère tel qu`il en aura connus toute sa vie. Il entre dans une période exaltée, voire une phase maniaque, déclenchée par une série d`incidents auxquels il accordera une importance immense et donnera des interprétations diverses au fil des huit années suivantes.
Dans son livreTraum : Philip K. Dick, le martyre onirique,Aurélien Lemantpostule qu`au fond, « la question n`est plus de savoir si Dick a vu quelque chose. Il faut à présent se demander si les informations que cet homme disait recevoir n`étaient autres que le film interdit de nos vies oubliées… » A votre avis, l`Exégèserépond-elle en partie à cette question ? Y a-t-il dans ces lignes des intuitions qui vous semblent pertinentes pour tout lecteur ?
Cette citation (de même que le reste de l`ouvrage, je dois dire) ne me parle pas du tout. Désolée ! Ma position est la suivante (pour résumer) : Dick était ce qu`on appellerait aujourd`hui « bipolaire », et ce depuis son jeune âge. Quelle que soit l`origine de sa personnalité troublée (qu`on pourrait aller par exemple chercher du côté de ses parents et même de sa famille au sens plus large), cela ne doit pas nous empêcher de prendre la mesure de son génie. Son imagination (les cinéastes ne s`y sont pas trompés), son érudition, son talent étaient immenses ; son oeuvre de fiction nous en donne un aperçu, l`Exégèsenous en fournit un autre. Sa quête apparaît, dans ce corpus théologico-philosophique ardu, sous un aspect encore plus émouvant. Mais il y aurait encore bien des choses à en dire…
Après plus de 20 ans de traduction de cet auteur, dont 5 années consacrées à ces 900 feuillets de l`Exégèse, quel regard portez-vous aujourd`hui surPhilip K. Dick? Vous avez sans doute eu l`impression parfois d`habiter son cerveau…
Outre mes propos ci-dessus, je dirais que l`Exégèseapporte un éclairage extrêmement précieux certes sur l`auteur (mais faut-il nécessairement tout savoir de l`auteur ?), mais surtout sur l`oeuvre, les thèmes et obsessions qui la traversent. Elle devrait également permettre de tordre définitivement le cou aux clichés absurdes qui collent à la peau de Dick depuis des années, et que vous ne m`en voudrez pas de ne pas perpétuer ici…
Lorsqu`on traduit un texte pareil, démesuré tant par le volume que par les ambitions et le nombre d`angles, de sources abordées, on n`en ressort pas indemne, en effet ! On fait parfois des cauchemars… Mais j`ai surtout énormément appris grâce à cet insatiable autodickdacte qu`était Dick…
Selon vous, qu`aurait pensé Dick de cette publication ? Et peut-on finalement la considérer – malgré son caractère forcément parcellaire, parfois décousu – comme son grand oeuvre ?
On ne saura jamais avec certitude si, à la fin de sa vie, Dick pensait ou non que sonExégèseserait un jour publiée, fût-ce malgré lui. Les avis divergent. Pour moi, il est impossible qu`il n`ait pas imaginé cette possibilité ; ce serait faire insulte à son intelligence que de soutenir le contraire. Mais il était avant tout romancier (ou « philosophe romanceur », comme il l`a dit lui-même) ; il en a donc transposé certains éléments dans ses quatre derniers romans et aurait certainement poursuivi cette démarche avec celui qu`il envisageait au moment de sa mort. Peut-être aurait-il aussi autorisé la publication de morceaux choisis (par lui) ?
Les derniers passages de l`Exégèsepermettent de penser qui Dick croit avoir un message à transmettre. N`étant pas du genre à se laisser intimider par des choses aussi triviales que la chronologie ou la causalité, il décèle rétrospectivement ce message dans certaines de ses oeuvres antérieures… Comme on l`a vu, il aurait sans doute préféré « romancer » pour mieux le faire passer.
Avez-vous vu le dernier film inspiré d`un livre de Dick,Blade Runner 2049. Si oui, qu`en avez-vous pensé ? Y a-t-il une adaptation au cinéma d`une de ses oeuvres qui vous tient particulièrement à coeur ?
Oui, trois fois… Il me semble que ce film d`une grande beauté formelle, très intelligent et très cultivé, aborde tous les thèmes qui lui tenaient à coeur (mais pas d`une manière « dickienne » - plutôt d`une manière « villeneuvienne » !). Je n`y vois pas pour autant une « adaptation », car il ne reste rien desAndroïdes rêvent-ils de moutons électriques ?d’un point de vue strictement narratif (sur ce plan, il n’en restait déjà pas grand-chose dans Blade Runner). Ses interrogations sur l’identité, l’illusion, l’empathie, ainsi que son message écologique sont présents. La poésie est également là, mais pour être véritablement « dickiens », il manque à ces deux films la dimension transcendante qui court tout au long de l’œuvre de l’auteur. Autrement dit : « Et Dieu dans tout ça ? » !
Steve Clayton, né en 1962 à Birmingham (GB), commence à s'intéresser à la musique dès l'âge de 10 ans.
Son père lui achète un vieux piano et le petit Steve prend ses premières leçons.
Après 5 ans d'études musicales, son professeur compose pour lui un blues qu'il doit étudier.
Ces rythmes , ces sons, sont une révélation pour le jeune Steve qui, jusqu'alors, ne connaissait que le piano classique.
Sa collection de disques augmente très rapidement. Il consacre tout son
argent de poche à l'achat des disques de Cow Cow Davenport, Albert
Ammons et Memphis Slim. A partir de ce moment là, il n'étudie plus la
musique classique, préférant reproduire ce qu'il entend.
Après sa formation scolaire, il joue dans plusieurs groupes de blues et peut y parfaire ses talents.
Peu de temps après, on le surnomme "The Ivory Maradona" ou "The Big Man
of Boogie Woogie" et on lui demande d'accompagner au piano des musiciens
légendaires comme Louisiana Red, Shuggy Otis et Carey Bell pendant des
tournées en Europe.
Il prend part aussi à la production des CD d'autres musiciens. On peut l'entendre entre autresur le CD d'Otis Grand
"He knows the Blues"
, récompensé d'un prix du Jazz.
Son travail au piano l'amène logiquement à apprendre à chanter et,
finalement, à écrire et composer ses propres chansons, enregistrant son
premier album "Can't stop the Boogie" en 1991.
En 1993, la maison de disque Hot Fox l'envoie à Chicago pour y enregistrer son deuxième opus "I got a right" avec les légendes du jazz S.P. Leary et Lester "Mad Dog" Davenport.
S'ensuivent 7 albums à son actif, dont le dernier "Homecoming" en 2014.
Il est nommé meilleur pianiste en Angleterre par la "British Blues
Connection" en 1995, 1996 et 1998, année durant laquelle il s'installe
en Allemagne où il lui faut peu de temps pour y être remarqué. En 2001,
il reçoit le prix "Kupferle" de la région sud de l'Allemagne et en 2015
le prix "German Boogie Woogie Award Pinetops".
Cela fait désormais plus de 30 ans que
Steve "Big Man" Clayton
chante et joue parmi les plus grands, transformant un style traditionnel en une note très personnelle.
Un style unique !
Plus d'infos
:
http://www.steve-bigman-clayton.comLine up : Steve Clayton (piano, chant), Pascal Fouquet (guitare), Fred Jouglas (basse) et Pascal Delmas (batterie) ______________________________________
Hunter S. Thompson, le grand maître du journalisme gonzo, auteur de Las Vegas Parano
et de centaines d'articles pour différentes publications américaines,
fera l'objet d'une série, actuellement en développement du côté de MGM
Television. Intitulée Fear and Loathing, en référence au titre original de Las Vegas Parano et à une des expressions préférées de Thompson, la série sera prise en main par le scénariste chevronné Davey Holmes.
Hunter S. Thompson par Rene Engstrom (Rick Marshall, CC BY 2.0)
Utilisée dès son premier article vraiment marquant, The Kentucky Derby Is Decadent and Depraved, publié en 1970 dans Scanlan's Monthly, l'expression « fear and loathing »,
qui se traduit par « peur et aversion » ou « peur et parano », a
ensuite nourri toute l'œuvre de Thompson. Critique acerbe,
caricaturiste, analyste désabusé de la politique et des politiques,
Thompson a appliqué cette expression comme un point de vue pour ses
articles et ouvrages ultérieurs.
Davey Holmes, scénariste, dramaturge et producteur, s'appliquera à
rendre toute cette parano et l'insolite vie d'Hunter S. Thompson dans
une série pour MGM Television. Holmes a déjà signé les séries En analyse, Pushing Daisies ou encore Damages, et a dernièrement crée la série Get Shorty, inspirée du livre du même titre d'Elmore Leonard, traduit en français sous le titre ZigZag Movie par Michel Lebrun.
Ce projet est le premier d'une collaboration exclusive entre Davey
Holmes et MGM Television, la chaîne souhaitant se rapprocher des
créateurs et scénaristes de séries. L'adaptation de Get Shorty par Holmes a été très bien accueillie sur la chaîne Epix, qui n'est pourtant pas réputée pour ses créations originales.
Outre ses articles et son roman Las Vegas Parano, qui
fournissent déjà une certaine matière à épisodes, Hunter S. Thompson a
notamment fait parler de lui pour un reportage en immersion chez les
Hell's Angels, un compte-rendu très précis de la campagne présidentielle
de 1972 aux États-Unis, ou encore pour avoir joué au golf-trap avec Bill Murray entre autres. Une vie mouvementée qui s'est d'ailleurs terminée par la pulvérisation des cendres de Thompson depuis un canon payé par l'acteur Johnny Depp...
Les écrits d'Hunter S. Thompson ont déjà connu plusieurs adaptations, dont Las Vegas Parano de Terry Gilliam, en 1998, avec Johnny Depp et Benicio Del Toro, mais aussi Where the Buffalo Roam d'Art Linson en 1980 avec Bill Murray ou plus récemment Rhum Express, de Bruce Robinson, à nouveau avec Johnny Depp.
You Win Again:Fats Domino.
#22 on BB Hot 100 on IMPERIAL
Records in 1962.
( He sang only the first verse and
x2 the chorus.)
#1.
EA
The news is out, all over town.
AEB
That you've been seen, out runnin' around.
BEA
I know that I, should leave, but then..
EBE
I just can't g.o.o.o, you win again.
CHORUS:
EAE
This heart of mine could never see,
EB
what everybody knew, but me.
BEA
Just trusting you, was my great sin.
AEBE
What can I do, you win again.
CHORUS:
EAE
This heart of mine could never see,
EB
what everybody knew, but me.
BEA
Just trusting you, was my great sin.
AEBE
What can I do, you win again.
OUTRO:
BE
You win again..(x4)(Fade.)
FATS DOMIN0: WHAT A PRICE (Maddux/Jessup/Domino) 4/4 - 62
Charted in 1961 in the US on, Pop: #22 - R&B: #7
http://www.youtube.com/watch?v=wH5Reo3Po1Q
Key: G# - Capo on the 1st Fret
| |: Measure with Chords of 4-Counts
nc : No Chord
CHORUS:
nc |G |CD7 |GC |GD7
Oh what a price, I had to pay, for loving you, you -.
VERSE 1:
|G |C
I bought a home, a diamond ring.
|GD |G
I had to give up every-thing.
CHORUS:
|G |CD7 |GC |GD7
Oh what a price, I had to pay, for loving you, you -.
VERSE 2:
|G |C
I tried so hard, to do what's right.
|GD |G
But you only wrecked my life.
CHORUS:
|G |CD7 |GC |GD7
Oh what a price, I had to pay, for loving you, you -.
VERSE 3:
|G |C
I stopped my rambling, I even stopped gambling.
|GD |G
I even stopped stayin' out all night.
CHORUS:
|G |CD7 |GC |GD7
Oh what a price, I had to pay, for loving you, you -.
VERSE 4:
|G |C
You heard my story, I sing my song.
|GD |G
So good-bye babe I'm gone.
CHORUS:
/ (Break)
|G |CD7 |GC |G
Oh what a price, I had to pay, for loving you, you -.
The Big Beat:Fats Domino.
#20 in UK, #15 R&B and #26 USA on BB Hot
100 on IMPERIAL Records in 1958.
INTRO: D#
#1.
D#
The big beat keep you rockin' in your seat.
A#
The big beat keep you rockin' in your sleep.
D#
Clap your hands and stomp yo' feet..
G#
you got to move when you hear this beat.
D#
The big beat keep you rockin' in your seat.
#2.
D#
Old grandpa just make eighty years old.
A#
Man is crazy 'bout the rock an' roll.
D#G#
The big beat get in your soul..make you jump
and make you roll.
D#
Old grandpa just make eighty years old.
#3.
D#
Peg Leg Joe, threw his crutches away.
A#
The big beat, make you act this way.
D#
Come on gang, let's swing and sway..
G#
the big beat, make you act this way.
D#
Peg Leg Joe, threw his crutch away.
(INTERLUDE:SAX:) D#A#D#G#D#
#4.
D#
The big beat keep you rockin' in your seat.
A#
The big beat keep you rockin' in your sleep.
D#
Clap your hands and stomp yo' feet..
G#
you got to move when you hear this beat.
D#
The big beat keep you rockin' in your seat.
I Want You To Know:Fats Domino.
#32 on Hot 100 on IMPERIAL Records in
1958.
INTRO: A#D#A#F
#1.
FA#D#
I want you to know..I love her so well.
A#D#
And I love her so much..I can never, never tell.
D#A#
Oh, boy, yeah, yeah, yeah..oh, boy, whoa.
FD#
I love to love her in the morning..love her til
A#
the dawning..don't you know, whoa.
#2.
A#D#A#
Don't you know, I love her so..and I'll never,
D#
never, ever let her go.
D#A#
Oh, boy, yeah, yeah, yeah..oh, boy, whoa.
FD#
I love to love her in the morning..love her til
A#
the dawning..don't you know, whoa.
(INTERLUDE:) A#D#A#F..A#D#A#D#A#FD#A#
#3.
A#D#A#
Can't you see what she do to me..she keep my poor
D#
heart in misery.
D#A#
Oh, boy, yeah, yeah, yeah..oh, boy, whoa.
FD#
I love to love her in the morning..love her til
A#AA#
the dawning..don't you know, whoa.
A fifties smash from Kraziekhat.
Darktown Strutters Ball Fats Domino
Written in 1917 and recorded by everybody down through the years, a great example of the ragtime influence.
The song is in 2/2 time so it lends itself to playing with an alternating bass rhythm.
/G /
I'll be down to get you in a taxi, honey
/A7 /
You better be ready 'bout half past eight
/D7 /
Now baby, don't be late
/G /Am7D7
I wanna be there when the band starts playin'
/G /
Remember when we get there, honey
/A7 /
the two-step, we'll have a ball
/C /C#dim
I'm gonna dance off both my shoes
/G /E7
When they play those Jelly Roll blues
/A7 /D /G /D7 /
Tomorrow night at the Darktown Strutters Ball I'll be
Dance With Mr. Domino:Fats Domino.
#98 on BB Hot 100 on IMPERIAL Records
in 1962.
INTRO: C
--------------------|
--------------------|
--------------------|
--------------------|
--------1--3--------|
--3-3-3-------------|
#1.
C
Hey, let's do the Twist..talking about the
Domino Twist.
FC
Hey, let's do the Twist..talking about the
Domino Twist.
GFC
Big John and little sis..they all do the
Domino Twist.
#2.
C
The rich folks and the poor..they're all
Twisting on the floor.
F
The rich folks and the poor..they're all
C
Twisting on the floor.
GFC
Big John and little sis..they all do the
Domino Twist.
BRIDGE:
CF
Hey, hey, hey.....ho, ho, ho..alright..
C
we're gonna Twist all night.
GFC
Big John and little sis..they all do the
Domino Twist.
(INTERLUDE:SAX:) CFCG7FC
#3.
C
Hey, let's do the Twist..I'm talking about the
Domino Twist.
FC
Hey, let's do the Twist..I'm talking about the
Domino Twist.
GFC
Big John and little sis..they all do the
Domino Twist.
BRIDGE:
CF
Hey, hey, hey.....ho, ho, ho..alright..
C
we're gonna Twist all night.
GFC
Big John and little sis..they all do the
Domino Twist.
OUTRO:SAX: CFCG7FC (Fade.)
All By Myself:Fats Domino.
#1 on R&B charts in 1955.
#1.
C#
Hey, little girl, don�t you understand..
C#7
I wanna be your lover man.
F#C#
All by myself, all by myself.
G#
I don�t want no one to love you,
C#
I wanna love you all by myself.
#2.
C#
You�re a fine little girl, you know it too..
C#7
don�t you know I�m in love with you.
F#C#
All by myself, all by myself.
G#
I don�t want no one to love you,
C#
I wanna love you all by myself.
#3.
C#
Meet me in the pub about half past one..
C#7
we�ll be going out and have some fun.
F#C#
All by ourselves, all by ourselves.
G#
We don�t need nobody, we just, we gonna
C#
do it all by ourselves.
(INTERLUDE:SAX:)
#4.
C#
Meet me in the pub about half past one..
C#7
we�ll be going out and have some fun.
F#C#
All by ourselves, all by ourselves.
G#
We don�t need nobody, we just, we gonna
C#
do it all by ourselves.
#5.
C#
Hey, little girl, don�t you understand..
C#7
I wanna be your lover man.
F#C#
All by myself, all by myself.
G#
I don�t want no one to love you,
C#
I wanna love you all by myself.
Be My Guest
Recorded by Fats Domino
Written by Fats Domino, Tommy Boyce, John S. Marascalco
Lyrics and Chords
GC
Come on baby and be my guest
GD7
Come join the party and meet the rest
GC
Everything is gonna be all right
D7G
So be my guest tonight
GC
We're gonna dance to the rock 'n' roll
GD7
We're gonna even do the stroll
GC
We're gonna Lindy Hop and Suzy Q
D7G
It's a special party just for you
CG
My, my oh my
D7G
Gee, you're so fine
CG
Don't, let me down
D7G
I'm the king but you can wear my crown
GC
I'm gonna sing my band gonna play
GD7
I'm gonna make you queen for a day
GC
Everything is gonna be all right
D7G
So be my guest tonight
Repeat #3 & 4
FATS DOMINO: BLUEBERRY HILL (Lewis/Stock/Rose) 4/4 - 92
Single 1956: US 10/56 R&B # 1, Pop # 2.
/ (Break)
INTRO: |(Solo in: B)|E |% |B |B
VERSE 1:
|E |% |B |%
I found my thrill, on Blueberry Hill.
|F#7 |% |BE |B
On Blueberry Hill, when I found you.
VERSE 2:
B7 |E |% |B |%
The moon stood still, on Blueberry Hill.
|F#7 |% |BEm |B
It lingered un-til, my dreams came true.
CHORUS 1:
F#7 |B |B
The wind in the willow played,
F#7 |B |B
love's sweet melo-dy.
Bb7 |Ebm |Bb7
But all of those vows you made,
|Ebm7 |F#7
were never to be.
VERSE 3:
B7 |E |% |B |%
Though we're a-part, you thought of me still.
|F#7 |% |BEm |B
For you were my thrill, on Blueberry Hill.
CHORUS 2:
F#7 |B |B
The wind in the willow played,
F#7 |B |B
love's sweet melo-dy.
Bb7 |Ebm |Bb7
But all of those vows you made,
|Ebm7 |F#7
Were only to be.
VERSE 4:
B7 |E |% |B |%
Though we're a-part, you thought of me still.
/ (Break)
|F#7 |% |BEm |B
For you were my thrill, on Blueberry Hill.
Enjoy,
Greg Egan (auteur australien découvert dans Interzone à la fin des
années quatre-vingt, en France un peu plus tard dans les pages de CyberDreams
et les publications DLM), il y a ceux qui adorent et… les autres. Et
moi, très franchement, j'étais il y a encore un jour ou deux très
clairement dans la seconde catégorie, celle des autres, ceux qui ont lu,
ça et là, une ou deux nouvelles intéressantes et beaucoup de textes
abscons. Ainsi, tout était simple, et lorsqu'on me parlait d'Egan, je me
disais : « ah ouais, ce type aux idées souvent renversantes mais à la
manière genre hard-science cryptique dont je comprends qu'un mot sur
trois ». C'est alors qu'arriva Axiomatique, un petit
recueil de quatre nouvelles (premier volet d'un ensemble quadripartite à
venir, me semble-t-il), un bouquin qui, affirmons le d'emblée, allait
radicalement chambouler mon jugement. Et depuis plus rien n'est simple,
évidemment…
Après cette petite introduction passablement nombriliste, passons
donc aux choses réellement dignes d'intérêt, à savoir « Axiomatique »,
nouvelle d'ouverture au titre éponyme à celui du recueil. L'histoire est
basique : celle d'un homme déchiré (entre son désir de venger sa femme
assassinée lors d'un braquage, et sa morale qui lui souffle combien tuer
un être humain est un acte ignoble. Pourtant la solution est là, dans
ces implants neuraux à même de profondément modifier la personnalité, de
changer l'introverti timide en gagnant grande gueule sûr de lui,
l'athée en fanatique religieux ou encore le veuf en meurtrier. On avale
le texte à toute allure, véritablement saisi par une écriture limpide,
extrêmement vivante, une nouvelle ou plane le vaste problème de
l'intégrité humaine de notre identité en tant qu'être pensant. Le ton
est donné, et de bien belle manière.
Charpentée sur la même thématique, celle de l'identité de l'individu,
« Le coffre-fort » nous plonge dans les affres d'un personnage voué à
une existence pour le moins curieuse, une vie fractionnée, morcelée,
celle de toutes les personnes dans la peau desquelles notre héros se
réveille, jour après jour. Il ne sait pas quel corps il habite, quelles
sont les habitudes de ce type dont il voit le visage dans le miroir,
quelle est cette femme, là, dans le lit, et qui visiblement semble avoir
des intentions douteuses. Et c'est comme ça tous les jours depuis
quarante ans (il y a là un petit côté Code Quantum, non ?).
Second texte et second coup de poing, le tout ponctué par une
rationalisation finale vertigineuse. Surprenant ! Avec « Le
Tout-P'tit », Egan aborde les domaines mouvants des manipulations
génétiques par le biais, non moins hasardeux, de l'affectif. Un
Tout-P'tit, c'est une créature vivante, un véritable bébé en fait, un
mioche qu'il vous faudra accoucher (si vous êtes de sexe masculin, pas
de problème, la science est capable de tout !), langer, nourrir, bref,
élever. Seul hic : il est programmé pour mourir à quatre ans. Et puis
vous savez, les gosses, mêmes fabriqués, on s'y attache, alors… Encore
un texte riche de réflexions, aussi dérangeant que les deux premiers, et
peut-être plus encore, une nouvelle qui vous fera regarder une certaine
brebis d'un drôle d'œil, sans parler du tamagotchi de votre petit
cousin…
C'est à « La caresse » qu'incombe la lourde charge de clôturer Axiomatique.
Le texte, comme les trois autres, est écrit à la première personne du
singulier. C'est de loin le plus long et, aussi, sans doute, le plus
fou. L'intrigue tourne autour d'un tableau, La caresse de
Fernand Khnopff (excellente initiative que celle de l'éditeur d'avoir
repris le dit tableau en couverture), une œuvre où l'un des personnages
représentés est une créature hybride, tête de femme, corps de panthère.
Un sphinx, quoi. Tout commence au moment ou le narrateur, flic bio
amélioré, découvre semblable aberration, et bien vivante qui plus est,
dans le sous-sol d'une maison ou un meurtre a été commis. Pourquoi avoir
créé une telle horreur ? L'enquête est ouverte. « La caresse » est une
nouvelle superbe et palpitante, porteuse, à l'instar de tous les autres
textes d'Axiomatique de questions éthiques profondes
auxquelles il faudra bien se résoudre à répondre, des réponses qui
modifieront irréversiblement notre proche futur…
Bref et on l'aura compris, ici, rien n'est à jeter (dans la mesure
bien sûr où on oublie quelques imperfections de maquette, découpages et
césures lourdingues, pages mal cadrées et absence de sommaire). Chacun
des quatre textes justifie à lui seul (presque) l'achat du recueil.
Alors si vous aimez les projections prospectives, que le génie génétique
et les nanotechnologies vous fascinent : c'est sûr, faut pas hésiter,
courez, d'autant que d'ici que vous acquériez Axiomatique ce sera peut-être plus de la Science-Fiction… Après tout, c'est déjà demain, non ?
Sur l'île artificielle d'Anarchia, située en plein Océan pacifique,
se déroule un colloque durant lequel doit être présentée la Théorie du
Tout, censée décrire et expliquer l'Univers à l'aide d'outils
mathématiques. Un journaliste scientifique, envoyé pour couvrir
l'événement, va se retrouver mêlé à une intrigue d'une grande
complexité, riche en considérations philosophiques et métaphysiques, qui
débouche, comme toujours chez Greg Egan, sur une vision mécaniste, une
sorte de « behaviorisme quantique » aux implications vertigineuses.
Les quelques lignes qui précèdent le laissent sans doute deviner, il
est impossible de résumer un tel livre, où chaque phrase, ou presque,
possède une importance. Je ne m'avancerai pas non plus à essayer de
donner une idée de la surprenante Théorie du Tout, par crainte d'en
trahir le sens. L'Énigme de l'univers atteint par
endroits un tel niveau d'abstraction que l'on peut se demander si l'on
est encore en présence d'un roman, ou de quelque ovni
scientifico-fictionnel.
Incontestablement, Greg Egan a su ouvrir une nouvelle voie dans le
domaine de la hard science. Comme les écrivains gonzo évoqués dans la
rubrique des « Rebonds » de notre dernier numéro, il fait feu de tout
bois pour créer une véritable pyrotechnie imaginative, mais sans jamais
s'écarter du cadre d'une stricte rationalité ; point de transcendance
chez cet auteur1. J'avoue sans honte qu'une ou deux pages –
au moins – du livre me sont largement passées au-dessus de la tête,
malgré plusieurs relectures attentives ; cela dit, cela ne pose à mon
sens aucun problème dans le cadre d'une œuvre de S-F, où l'on est prié
de laisser son incrédulité au vestiaire. La hard science est un domaine
où le lecteur, faute de posséder les connaissances nécessaires, se
retrouve tôt ou tard obligé d'admettre que l'auteur a raison, point à la
ligne. Chez Greg Egan, ce phénomène devient paroxystique, ce qui me
paraît typique d'une attitude avant-gardiste.
À mon sens, toute littérature, tout courant de pensée a besoin d'une
avant-garde pour ne point péricliter, et il est naturel que celle-ci ait
recours à l'excès pour affirmer sa spécificité. L'exemple des
cyberpunks est présent dans toutes les mémoires ; nul ne saurait
aujourd'hui contester l'apport des neuromantiques à la thématique S-F.
Et, bien que Greg Egan constitue à l'évidence une nouvelle tendance à
lui tout seul, on peut néanmoins le rattacher au bouillonnement
imaginatif agitant depuis quelques années la revue britannique
Interzone, et plus généralement la S-F d'outre-Manche – bouillonnement
qui n'est pas sans rappeler celui qui s'est emparé durant les années 60
d'un autre magazine insulaire, je veux bien entendu parler du New Worlds
de Michael Moorcock. Au-delà des différences entre les acteurs de ce
mouvement – et du fait qu'ils s'inscrivent dans une optique littéraire,
alors qu'Egan n'accorde que peu d'importance à la forme –, tous
partagent en effet le désir d'expérimenter de nouvelles manières
d'aborder la S-F, de faire briller d'autres facettes du genre. Pour ne
citer qu'un exemple, on pourrait être tenté d'opposer le matérialisme et
le souci de plausibilité de Greg Egan aux envolées psychédéliques de
Jeff Noon dans Vurt
(chez Flammarion), alors qu'une mise en parallèle des deux démarches
révèle une parenté plus proche que l'on pourrait le penser. Chez ces
deux auteurs – ainsi que, par exemple, chez Paul J. McAuley, Eric Brown ou encore Iain M. Banks
–, on trouve avant tout le désir d'aller plus loin, de repousser
limites et possibilités du genre. Bien qu'Australien, Egan participe à
cette formidable agitation de neurones, et si ses pairs admirent ses
excès sans chercher à les imiter, nul doute qu'ils sont en train d'en
tirer la leçon, et que l'influence de cet auteur est appelée à grandir
au cours des années à venir. Note :
1. Plutôt que de les paraphraser, je vous renvoie à l'interview de
Greg Egan, ainsi qu'à l'article que lui consacre Sylvie Denis dans
Galaxies n°6.
Pour quelle mystérieuse raison l'Humanité a-t-elle été subitement
coupée du reste de l'Univers le 15 novembre 2034 ? La réponse se trouve
bien évidemment dans la physique quantique, comme on pourrait s'y
attendre chez Greg Egan, qui soulève une fois de plus un problème aux
dimensions métaphysiques pour lui donner une solution relevant de la
logique matérialiste qui lui est chère – et que l'on a pu voir portée à
son paroxysme dans L'Énigme de l'univers (Laffont). Sur une idée de base voisine de celle de « L'Assassin infini » (in Étoiles Vives n°8), mais aussi de « La Fin du Big Bang » de Claude Ecken (Escales 2001,
Fleuve Noir), l'énigmatique fer de lance australien de la SF
anglo-saxonne mène peu à peu le lecteur vers un dénouement d'une logique
implacable qui n'est pas sans évoquer les doutes et vertiges d'un
Philip K. Dick subitement frappé d'athéisme militant.
Néanmoins, avant d'y parvenir, Egan passe une bonne partie du roman à
noyer le poisson sous une profusions de détails et d'inventions
science-fictives dont la modernité ne fait aucun doute et demeure
toujours aussi flagrante alors que l'édition originale de ce livre date
de 1992. Ainsi, une place considérable est accordée aux mods – des
structures implantées à l'aide de nanomachines qui permettent de
modifier la personnalité d'un individu, et dont le narrateur, ancien
policier, possède toute une panoplie – et à leurs implications
psychologiques ; dans cet ordre d'idées, la manière dont plusieurs
personnages triomphent du mod de fidélité qu'on leur a imposé constitue
un véritable tour de force. C'est également sur ce plan que s'exprime le
Greg Egan soucieux de considérations morales : un individu à la
conscience modifiée artificiellement peut-il raisonnablement estimer
être encore lui-même ? C'est la question du libre-arbitre qui est ici
soulevée, et elle trouvera une réponse étonnante.
Après trois romans et un quinzaine de nouvelles, Greg Egan s'est
imposé comme l'auteur le plus important des années 90. Et avec des
textes tels que « Cocons » (in CyberDreams 04), « Océanique » (in Bifrost 20), « Les Tapis de Wang » (Galaxies n°6) ou « Vif Argent » (Bifrost 11),
son talent de nouvelliste n'est plus à prouver. En revanche, les romans
sont davantage controversés. Leur sont reprochés froideur, complexité
et manque de force narrative, et ce en dépit de spéculations
scientifiques et éthiques de très haut vol. Leur public semble devoir
rester partagé.
Avec Téranésie, on revient sur l'idée centrale de L'Échelle de Darwin
de Greg Bear – paru l'été passé dans la même collection. D'étranges
événements génétiques adviennent soudain, sans être ni fortuits ni
aléatoires. Où Bear nous propose une modification de l'Homme, Egan met
en scène des évolutions spontanées au sein de la faune de certaines îles
du Sud.
La première moitié du roman n'a que peu à voir avec la S-F. La vie
d'un garçon de neuf ans sur une île déserte ; la guerre ethnique en
Indonésie ; la rencontre forcée du jeune garçon en question avec la
cousine de sa mère, intellectuelle extrémiste new age et politiquement
correcte ; quelques années plus tard, son homosexualité ; et en toile de
fond la présence de sa petite sœur, Madhusree… Rien d'ardu là-dedans,
ni de très passionnant. Ça se laisse plutôt bien lire, mais on en vient
vite à ronger son frein. Ce n'est pas parce que le lecteur du XXIe
siècle ne se satisfait plus de la S-F en fer blanc de grand papa, de ses
personnages stéréotypés, qu'il faut se payer du travers inverse. La
moitié du roman rien que pour camper le personnage, c'est un peu lourd,
surtout qu'avec la réputation de l'auteur, on est en droit d'attendre un
minimum de spéculation. On nous l'a promis, mais ça ne vient guère…
Madhusree, devenue étudiante en biologie, à la suite de ses parents,
décide de retourner dans l'archipel de son enfance où les plus étranges
espèces continuent d'émerger. Prabir, en parfait pot de colle, l'y suit.
Ou plutôt retourne en Téranésie affronter les fantômes de son passé.
Après avoir noté l'importance prise par la biologie dans la S-F contemporaine, où s'inscrit Téranésie,
il faudra admettre que ce roman n'a rien de génial. Greg Egan n'a ici
ni le souffle d'un véritable romancier, ni la force dont il fait preuve
en tant que nouvelliste. Si son écriture froide et distanciée est tout à
fait propice à la mise en relief de problématiques socio-affectives
engendrées par les progrès de la technologie, elle ne convient guère aux
ambitions mainstream qui président à Téranésie. Le
roman tourne autour du lien à la sœur, aux parents, à la guerre, à la
culpabilité. Mais l'aspect biologique n'y relève que de l'épiphénomène.
Finissant en queue de poisson, mais plus accessible et facile à lire
que l'on pouvait s'y attendre, on se demande si, finalement, on n'a pas
placé la barre de nos attentes trop haut pour que Téranésie ne déçoive pas quelque peu.
Depuis une douzaine d'années, Gre Egan jouit en France d'une
excellente réputation, surtout de nouvelliste. Aussi peut-on s'étonner
qu'Axiomatique, dont la VO date de 1995, n'ait été que
partiellement édité à ce jour. Les mystères de l'édition sont
insondables, et ce recueil était bien parti pour devenir un livre
maudit. Mais enfin le voilà, lui et bientôt deux autres volumes,
toujours au Bélial'.
Egan a détrôné William Gibson comme auteur emblématique de l'époque.
Sylvie Denis et Francis Valéry d'abord, puis Gérard Klein, Gilles Dumay,
Olivier Girard et Quarante-Deux ont entrepris de révéler Egan au public
francophone. C'est dans la forme courte que cet Australien donne sa
pleine mesure. Ses romans n'ont pas la même force, Téranésie
étant même franchement quelconque. Le souffle épique, le sens du
romanesque sont des qualités dont Greg Egan n'est que parcimonieusement
pourvu ; par contre, c'est un authentique visionnaire. Personne mieux
que lui ne sait mettre en scène l'impact social et humain des nouvelles
technologies, et tout particulièrement des avancées médicales. Il est la
vivante illustration de la science-fiction considérée comme une
littérature d'idées. Parce que d'idées, il en regorge. Malgré cela,
jusqu'à présent, qui voulait lire les nouvelles d'Egan s'engageait dans
un véritable parcours du combattant : outre les deux courts recueil
parus naguère chez DLM et depuis très épuisés, Notre-Dame de Tchernobyl et Axiomatique
(contenant quatre nouvelles reprises ici – 4, 6, 7 et 13), il lui
fallait les chercher ici et là en revue, et dans diverses anthologies.
Il aura fallu pas moins de dix ans et de trois tentatives éditoriales
pour que ce recueil voie enfin le jour en français dans son intégralité.
Tout vient à point à qui sait attendre, mais tout de même…
1 – « L'Assassin infini » nous montre à l'œuvre un tueur omniprésent
dans quantité d'univers parallèles et chargé de liquider les
incarnations de drogués engendrées par l'usage d'une substance qui leur
permet de voyager entre les univers tout en les déstabilisant de plus en
plus. Ce texte n'est pas typique de la manière Egan, mais c'est un des
récits les plus actifs.
2 – « Lumière des événements ». Un astronome a découvert des galaxies
à temporalité inversée. C'est-à-dire qu'au lieu que les photons
provenant du fond de l'espace frappent le télescope, ils le quittent
pour plonger dans le passé et rejoindre l'étoile, à rebours. Grâce à de
gigantesques jeux de miroirs spatiaux, on parvient à envoyer ainsi des
messages dans le passé et, donc, à connaître l'avenir. La science
va-t-elle triompher du libre-arbitre ou pourra-t-on faire mentir les
massages venus du futur ?
3 – « Eugène ». Dans cet avenir où l'on achète quasiment sa
progéniture en kit, si l'on a gagné à la loterie, on peut s'offrir
l'enfant le plus merveilleux dont on puisse rêver. Ne se pourrait-il pas
que la mariée soit trop belle ? Que l'enfant ne soit TROP parfait ? Que
les Pygmalion soient pris à leur propre jeu ?
4 – « La Caresse » évoque les rapports malsains, quasi incestueux,
que l'Art et l'Argent entretiennent. Pouvoir de l'Art, pouvoir pour
l'Art qui ouvre sur un hédonisme par-delà bien et mal, qui échappe à la
morale et, donc, à l'humain. Le créateur, l'artiste en vient à
s'investir d'un pouvoir tel qu'il s'apparente au surhomme nietzschéen,
s'élève et élève l'Art au-dessus du jugement. Un texte fort.
5 – « Sœurs de sang » est cependant mon préféré et j'aimerais
connaître l'avis d'un professionnel de la santé et de la fiction tel que
Martin Winckler à son sujet. C'est un récit à la fois dur et touchant.
Deux jumelles : l'une meurt en Afrique, l'autre vit en Amérique. Pour
tester un médicament, l'industrie pharmaceutique l'administre à l'une,
et à l'autre un simple placebo. Ça fait réfléchir et donne froid dans le
dos.
6 – « Axiomatique », qui prête son titre au recueil, est l'archétype
de la nouvelle eganienne. En plein dans le motif central de l'œuvre de
l'Australien. Les états de conscience, les choix moraux ne sont-ils que
des axiomes que l'on peut altérer avec des implants cérébraux ? Par
exemple, pour acquérir le mépris de la vie humaine nécessaire à un
homicide quand on n'est pas un tueur né ? Mais dès lors que l'humanité
ne vaut plus rien, à quoi bon la venger ?
7 – « Le Coffre-fort » reste l'un des points faibles du recueil. Un
enfant martyr a acquis l'étrange pouvoir de migrer chaque nuit, durant
son sommeil, d'un corps à un autre, sans contrôle. Eviter de trop
perturber la vie de son hôte d'un jour et se forger néanmoins une
identité n'est pas si facile que ça…
8 – « Le Point de vue du plafond » est l'un des textes les plus
étranges de ce recueil, où le personnage vit une expérience de
décorporation. Il se voit du plafond, comme s'il y était, regardant son
corps en contrebas, mais reçoit les informations par le truchement de
son corps réel. En fin de compte, l'histoire, qui se conclut par
l'exploitation médiatique de la situation, nous laisse sur notre faim.
9 – « L'Enlèvement » est peut-être un peu moins surprenant mais bien
mieux réussi. Quand on saura créer de véritables copies conformes d'un
être humain, pour l'immortaliser par exemple, ne suffira-t-il pas
simplement d'un rapt virtuel ? Menacer de faire souffrir une copie dont
on se sera emparé aura-t-il la même influence qu'un rapt réel en
permettant d'obtenir tout aussi bien une rançon. Egan livre là son récit
le plus psychologique mais pas le moins intéressant.
10 – « En apprenant à être moi » nous fait découvrir le dispositif
Ndoli. Un cristal de réseaux neuraux imite parfaitement le cerveau.
Quand ce dernier vient à se dégrader avec l'âge, le cristal prend le
relais pour l'éternité… Egan pose une fois encore sa question favorite,
celle qui l'intéresse vraiment et donne une teinte philosophique à son
œuvre : Et ça, c'est humain ?
11 – « Les Douves ». Très beau texte, simple, parlant et fort, avec
la mise en abîme du racisme primaire, avoué et revendiqué, de pauvres
qui redoutent la concurrence de plus pauvres et désespérés qu'eux et
celui, discret, secret, de la classe dominante, qui s'affranchit de son
humanité même pour créer une frontière plus infranchissable qu'aucun
mur. Ceux qui réclament un mur et ceux qui édifient un mur génétique
pour, de classe, se constituer en espèce, pire, en une forme de vie
alternative et dominante. Des douves, jolie métaphore…
12 – « La Marche ». Le moins bon à mon sens. Un tueur conduit sa
victime à travers bois et échange avec elle son point de vue. Point de
vue que des implants peuvent modifier. Du pur Egan.
13 – « Le P'tit mignon ». Parmi les thèmes favoris de Greg Egan, on
compte tout ce qui touche de près ou de loin à l'identité sexuelle.
Comment la technique va-t-elle fournir au Marché le moyen de répondre –
ici à la demande d'un homme d'avoir lui-même un enfant – et avec quel
questionnement éthique ? Quelles seront les conséquences émotionnelles
de faire les choses à moitié ? Il y a quelques risques à vouloir un
super tamagoshi.
14 – « Vers les ténèbres » est une nouvelle moins spéculative, plus
imaginaire… Des trous de vers apparaissent çà et là, arbitrairement,
capturent des gens dans un labyrinthe où il est impossible de revenir en
arrière, même pour la lumière, et où donc, de fait, on avance dans le
noir total. Des « pompiers » y pénètrent pour essayer de sauver ces
prisonniers en les menant au centre dans le temps imparti.
15 – « Un Amour approprié » est la toute première nouvelle d'Egan que
nous ayons pu lire en français sous le titre « Baby Brain ». La
technique et le droit. Encore et déjà. Liée par un contrat d'assurance
avec des clauses en petits caractères, une femme doit accepter de porter
dans son utérus le cerveau de son mari victime d'un accident, le temps
de lui cloner un nouveau corps ou de renoncer à le sauver.
16 – « La Morale et le virologue ». Un biologiste fou de Dieu entend
« améliorer » l'œuvre du Tout Puissant, créateur du sida, en produisant
une nouvelle souche virale plus performante, religieusement parlant, qui
parvienne à tuer tous les impies, homosexuels, partenaires multiples,
femmes allaitant… Sinistre.
17 – « Plus près de toi ». Grâce au dispositif Ndoli, toutes sortes
d'expériences deviennent possibles : échanger corps et sexes, avoir le
même sexe que son partenaire et inversement. Devenir l'autre. Absolument
identique. Tout connaître de lui, d'elle, à la perfection. Mais
attention, une fois qu'il n'y a plus de mystère, quel échange reste
encore possible ? Egan aime présenter les revers de médaille. Dans tout
marché, il y a ce que l'on reçoit mais aussi ce que l'on donne. La
technique le permet, mais qu'y gagne-t-on au final ?
18 – « Orbite instable dans la sphère des illusions » rappelle
davantage la S-F des années 70 et aussi l'univers de Roland C. Wagner et
sa fameuse Psychosphère. Un beau jour, les croyances ont créé des
attracteurs, géographiquement parlant, qui, dès que l'on s'en approche,
vous convertissent à la croyance génératrice dudit attracteur. Une
minorité continue d'évoluer librement aux marges des zones attractrices,
à moins que ces marges ne soient en fait, elles aussi, qu'un attracteur
quelque peu différent ? Une idée marginale chez Greg Egan pour conclure
comme on avait commencé.
Véritable monument de la S-F des années 90, Axiomatique
est le recueil à ne manquer sous aucun prétexte, à découvrir
absolument. Greg Egan propose une science-fiction crédible et éprise de
questionnements éthiques. Il ne cesse d'interroger le progrès technique
et surtout médical. Ni technophobe ni technophile, il envisage le pour
et le contre des demandes que notre époque adresse au proche futur. La
question de l'immortalité et, sans aller si loin, de la prolongation de
la vie. La science et la technique avancent, mais la loi, dans son
esprit comme dans sa lettre, reste ce que nous connaissons. C'est à
cette aune-là qu'il faut peser les réponses qu'il propose.
Chez Egan, l'action est bien souvent réduite à la portion congrue. Sa
prose est froide, et si son faisceau thématique est plus étroit que
celui de Ted Chiang, ces deux auteurs sont bel et bien comparables. Si La Tour de Babylone, le recueil de Chiang (Denoël « Lunes d'Encre » – cf. critique et interview de l'auteur dans le Bifrost n°42), vous a laissé de marbre, gageons qu'Axiomatique aura
le même effet. En revanche, si le recueil de l'Américain vous a
enthousiasmé, il y a toutes les chances pour celui de l'Australien fasse
de même. On a ici droit à une science-fiction très intériorisée, où
l'essentiel est dans les interrogations de personnages qui n'ont rien
d'extraordinaires. Ce pourrait être moi ou vous, et c'est bien sûr ce
qui fait tout l'intérêt de la chose.
Je donne certains textes pour meilleurs, d'autres pour moins bons. Il
faut comprendre que c'est relativement les uns aux autres. L'ensemble
est de très haute tenue, même si les meilleurs textes d'Egan qu'il m'ait
été donné de lire ne sont pas au sommaire de ce recueil. « Mortelles
ritournelles », « Fidélité », « Vif Argent », « Cocon » ou « Les Tapis
de Wang » devraient figurer dans les deux autres recueils prévus au
Belial'. Malgré cela, Axiomatique est le seul recueil à pouvoir rivaliser avec La Tour de Babylone. Deux comme ça suffisent amplement à faire de 2006 un excellent millésime. Maintenant, si vous préférez la hache et le blaster…
Voici donc, un an après Axiomatique, le second
volume de l'intégrale raisonnée des nouvelles de Greg Egan. Passons
d'emblée sur une illustration de couverture dont on ne doute pas qu'elle
fera débat, même si elle s'inscrit bien dans le ton du recueil, pour
nous attaquer au fond, à savoir, les textes.
« Paille au vent » nous entraîne à la suite du « personnage narrateur
standard » dans une Amazonie où el Nido, fief des cocaleros reconvertis
dans les biotechnologies, s'apparente au château de la Belle au Bois
Dormant et à sa forêt d'épines. Y pénétrer est une chose, en ressortir,
une autre. Parce que lorsque la drogue cesse d'être un vulgaire
psychotrope pour devenir le moyen de recâbler son cerveau de manière à
devenir juste et très exactement ce que l'on veut en faisant abstraction
de tout contexte, tout a changé. Ce thème va revenir au fil du recueil.
Avec « L'Éve mitochondriale », le « narrateur standard » est
confronté à un autre centre d'intérêt majeur de Greg Egan : l'évolution
des rapports sociaux en fonction de l'impact de la technique sur le sexe
ou le genre. La question ici posée étant de savoir si tous les hommes
(et femmes) sont frères ou à tout le moins cousins en partageant une
unique ancêtre commune à toute l'humanité. Cela débouche sur une sorte
de religion unificatrice et matérialiste mais, si en fin de compte tout
ceci n'était que du flan ?
« Radieux », à l'instar des « Tapis de Wang » (in revue Galaxies n°6),
appartient à une veine plus cosmique et plus rare de l'œuvre de Greg
Egan bien qu'il la traite ici selon son habitude tout en se rapprochant à
la fois de Ted Chiang et de Stephen Baxter. Des mathématiciens
découvrent qu'une zone lointaine des très très grands nombres ne
répondraient plus aux règles de l'arithmétique, lesquelles ne seraient
donc plus absolues, mais relatives aux nombres auxquels on voudraient
les appliquer. Qui plus est, cette frontière serait mouvante et
fractale. La société Industrial Algébra envisage d'exploiter cette
discontinuité à des fins pragmatiques pour le moins triviales. Aussi,
les chercheurs à l'origine de la découverte envisagent-ils de détruire
leurs travaux en espérant que leur commanditaire s'avérera incapable de
marcher sur les traces de leur œuvre brisée ou, de manière plus
radicale, d'éradiquer la discontinuité au moyen de l'ordinateur
photonique « Radieux ». Cependant, des intelligences autres la défendent
en modifiant l'espace mathématique avec une subtilité telle qu'ils
agissent directement sur l'état mental des protagonistes. On reste
pantois devant ce texte génial qui commence comme du cyberpunk bien noir
et cloue le bec de quiconque penserait la S-F désormais incapable de se
renouveler.
Avec « Monsieur Volition », on redescend de quelques étages pour en
revenir au thème de « Paille au vent » mais en ayant cette fois recours à
un implant. C'est à nouveau la quête d'un moi absolu, d'une essence
intrinsèque de l'être. Bien qu'intéressant, ce texte constitue le point
(relativement) faible du recueil.
Et avec « Cocon », ça repart de plus belle. Derrière un récit
d'enquête sur un attentat plutôt mieux fichue qu'à l'ordinaire – mais
c'est la cerise sur le gâteau – c'est de nouveau une problématique
d'ordre sexuel qu'Egan aborde ici. Une firme met au point un filtre
capable de protéger le fœtus des influences néfastes de la mère, qu'elle
soit alcoolique ou infectée par le VIH, etc. Mais aussi de l'influence
du stress qui serait responsable de l'orientation sexuelle future. La
question étant, pour la communauté homo qui a enfin gagné le droit
d'être et à laquelle appartient cette fois le « narrateur standard », de
savoir si sa disparition est acceptable ou criminelle et de choisir
entre une fatalité induite par les contingences de la vie et un choix
fait par autrui. Cette disparition programmée de la « culture gay »
est-elle ou non comparable à une sorte de génocide ? Encore un texte
très fort qui pose des questions fondamentales sur la fantasmatique
technicienne. Voilà qui donne à réfléchir.
Dans « Rêves de transition » revient le thème de la transcendance qui
avait déjà été visité dans le précédent recueil. Quand la technique
permet de numériser intégralement la mémoire et de l'implanter dans un
robot, a-t-on enfin gagné l'immortalité ou, au contraire, est-on tout
simplement mort en laissant une sorte de portrait animé derrière soi ?
Une nouvelle en léger retrait.
Le « Vif Argent » est une sorte de fièvre hémorragique cruelle qui
ressemble plus ou moins à l'ébola mais se transmet par simple contact
épidermique et non par contact avec le sang. La virulence du vif argent
est telle que les porteurs meurent trop vite pour que s'instaure une
véritable pandémie mais voilà que soudain, ça change. Une sorte de culte
écolo-new age extrémiste, délirant, masochiste, technophobe et
fondamentalement anti-humaniste se répand dans le dessein de
« défaire » la culture technicienne occidentale. Une perspective qui
fait frémir…
Le « narrateur standard » de « Des raisons d'être heureux » est
atteint d'une tumeur cérébrale dont un effet secondaire lui booste un
moral d'acier. Un traitement viral lui sauve la vie mais le plonge dans
une terrible et incurable dépression car ce sont les réseaux neuraux
liés au plaisir qui on été détruit en même temps que les cellules
cancéreuses. Des lustres plus tard, un nouveau traitement le tire de sa
dépression mais il apprécie désormais indifféremment tout ce
qu'appréciaient individuellement chacun des 4000 hommes morts qui ont
servi de modèles pour les réseaux neuraux synthétiques dont on vient de
le pourvoir pour restaurer son cerveau. Il apprendra à calibrer ses
sensations mais resteront les aléas de la vie…
« Notre-Dame de Tchernobyl » ramène Egan vers une thématique qui lui
tient à cœur : la place de l'art dans l'avenir technologique et, à
travers lui, la place de la spiritualité. Il est à cet égard intéressant
de croiser « Notre-Dame » et « Vif Argent ». À défaut d'une
spiritualité authentique, on risque de se retrouver avec des
superstitions aussi abracadabrantes que dangereuses. Nouvelle enquête et
quête d'une icône néo-orthodoxe, symbole d'une religion où Dieu n'est
pas chair mais information. Si cette nouvelle n'est pas la plus
éblouissante du recueil, elle est certainement la plus touchante.
Enfin, avec « La Plongée de Planck », Greg Egan nous entraîne dans
l'exploration d'un trou noir au travers d'une science-fiction
eschatologique, proche du Stephen Baxter de Temps, aux frontières de
l'astrophysique et de la physique quantique. Quand la hard science fiction
atteint ce niveau-là, ne peut-on y voir l'émergence d'une nouvelle
forme poétique ? Après tout, des nombres quantiques ne se sont-ils pas
vu attribuer les noms d' « Étrangeté » et de « charme » ? Si le gros de
l'œuvre de Greg Egan peut contribuer, sinon à l'édification des masses,
du moins à aider tout un chacun à s'interroger sur notre avenir
technologique, on peut se demander pour qui est cette pyrotechnie
finale…
La science-fiction offre cette particularité qu'il n'est nul besoin
d'être un grand styliste pour être un écrivain majeur et absolument
passionnant. Greg Egan s'inscrit ainsi dans la continuité d'auteurs tels
que Arthur C. Clarke ou Philip K. Dick dont les propos se suffisent
amplement à eux-mêmes. Des fioritures stylistiques pourraient même
grever la force des textes. Les nouvelles d'Egan sont construites autour
d'un « narrateur standard », qui s'incarne à la première personne, un
« Je » mimétique. Une sorte de Monsieur-tout-le-monde qui est en
situation de se poser les questions que se pose Greg Egan et qu'il nous
invite à partager. Comme chez Dick, ses personnages ne sont jamais des
héros mais servent simplement de révélateurs.
Par ailleurs, la plupart des nouvelles d'Egan contiennent un ou
plusieurs paragraphes d'exposition de la technique qui va soulever le
problème. Egan ne sacrifie guère au principe du « montrer, ne pas
dire ». Il dit. Assez longuement et non sans lourdeur mais c'est
indispensable. S'il le fait beaucoup, c'est néanmoins a minima ; jamais
trop. Ces défauts sont ceux de ses qualités et passent sans difficultés
aucune dans ses nouvelles tandis qu'ils se font sentir sur la distance
du roman.
Greg Egan nous interpelle avec une pertinence unique à ce jour sur
nos divers fantasmes technologiques. Il a cette capacité à formuler les
interrogations éthiques sur la société et la civilisation en devenir.
C'est la raison d'être d'un écrivain à défaut de quoi il ne se démarque
en rien d'un bateleur de foire. Et c'est ce qui légitime la littérature.
À lire l'ensemble, Egan fait apparaître que la spiritualité non
seulement peut, mais doit et peut-être même va, faire bon ménage avec la
technique, sans quoi il faut s'attendre à de méchants retour de bâton.
Si l'on sait que « science sans conscience n'est que ruine de l'âme »,
conscience sans science ne saurait être que con(nerie). Non seulement
Egan est passionnant mais il est surtout nécessaire et peut-être
devrait-on commencer à lire « Cocon » dans les écoles. Incontournable.
Pour beaucoup d’auteurs de science-fiction, le lointain futur est un
endroit bien pratique où ils peuvent situer des univers plus proches du
beau royaume des désirs du cœur que du triste empire des informations
que nous possédons sur le monde.
Après tout, si la S-F es une littérature extrapolative, c’est bien
parce que, partant d’un point A, le présent selon l’auteur, on arrive à
un point Z, le futur, toujours selon l’auteur, dont les choix ne peuvent
que jeter une lumière singulière sur notre époque et sur la nature
profonde de l’humanité.
Les événements racontés dans Incandescence se situent donc dans un bon million d’années, dans la ligne de l’univers décrit dans Diaspora,
« Les Tapis de Wang » et « La Plongée de Planck ». En anglais, deux
nouvelles, « Riding the Crocodile » et « Glory », situées dans l’univers
de l’Amalgame, sont parues dans un recueil de quatre novellas, Dark Integers and other stories (Subterranean
Books). Il vaut mieux selon moi avoir lu la première avant d’entamer le
roman. D’abord parce que le couple héros de cette novella et leur
découverte font référence 300 000 ans après pour les personnages
d’Incandescence, et surtout parce qu’elle pose l’univers de manière
beaucoup plus vivante que le début un peu pataud du roman.
Dans le lointain futur, la civilisation de l’Amalgame occupe le
disque de la galaxie. Les problèmes qui assaillent l’humanité ont été
résolus depuis si longtemps qu’on en parle même plus : les citoyens de
l’Amalgame, qu’ils soient nés des processus naturels de l’évolution ou
qu’ils aient été créés artificiellement, ont accès à tout, peuvent tout
et possèdent tout, y compris changer d’enveloppe corporelle, modifier
leur personnalité et leur esprit, posséder des copies de secours
d’eux-mêmes, vivre ou non dans des réalités virtuelles, et ainsi de
suite. Il va sans dire qu’ils sont pratiquement immortels. Cela
s’accompagne pourtant de problèmes existentiels, surtout au sein d’une
civilisation qui a catalogué et décrit jusqu’à la moindre molécule de
l’univers.
Leila et Jasim, les deux héros de « Riding the Crocodile », ont vécu
ensemble pendant 10 309 ans, ils ont fait tout ce qu’il est possible de
faire dans leur civilisation, il ne leur reste plus qu’à partir en
beauté, d’une mort qui soit un couronnement significatif de leur vie et
qui se caractérise par une découverte. Il existe en effet un mystère
dont l’Amalgame n’est jamais venu à bout. Le centre de la galaxie est
occupé par une civilisation dénommée « the Aloof », les Lointains, et
pour cause : en un million d’années, ils n’ont jamais daigné communiquer
et ont systématiquement repoussé toute tentative de s’introduire dans
leur domaine. Leila et Jasim choisissent donc d’observer le centre de la
Galaxie et finissent, après quelques milliers d’années de travail, et
tout en redéfinissant leur relation, par pouvoir s’enregistrer et
s’envoyer dans le réseau de communication de ces énigmatiques voisins.
Pour Rakesh, 300 00 ans après, Leila et Jasim sont des références. Le
malheureux traîne son ennui dans un « scape » à l’intérieur d’un node,
« quelques mètres cubes de processeurs dérivant dans l’espace
interstellaire…», lorsqu’il rencontre Lahl, à qui les Aloof ont permis
d’examiner un météore contenant de mystérieuses traces d’ADN. Ayant
trouvé ce qu’il cherchait pour que sa vie prenne enfin un sens, Rakesh
décide de suivre la piste indiquée. Ce qui signifie ni plus ni moins
quitter tout ce qu’il a connu jusqu’alors – dans l’univers de
l’Amalgame, on ne voyage pas plus vite que la lu-mière : visiter les
autres mondes signifie donc voyager dans le futur sans espoir de retour.
Cependant, à l’intérieur d’un petit monde de roche transparente
baignant dans un flux nommé l’« Incandescence », Roi, une citoyenne
presque ordinaire, est recrutée par Zak. Zak est un solitaire qui tente
de découvrir pourquoi et comment on change de poids quand on voyage d’un
bout à l’autre de leur monde. Il éveille la curiosité de Roi et la
détourne de son équipe d’agriculteurs. Le roman est donc bâti, de
manière fort classique, sur deux lignes narratives : d’un côté Rakesh et
Parantham tentent de retrouver le peuple qui a laissé des traces d’ADN
qui intriguent les « Aloof », de l’autre Roi et Zak s’efforcent de
comprendre la nature de leur monde et de ses lois.
Le plus étonnant est qu’au début, on est plus intéressé par Roi que
par Rakesh : d’une part parce que les premiers chapitres ne sont pas
d’une lecture aussi agréable que « Riding the Crocodile », qui décrit la
civilisation de l’Amalgame de manière bien plus vivante et détaillée,
d’autre part parce que Roi est une héroïne selon le cœur d’un amateur de
S-F : une créature un peu en marge de sa société, dans un environnement
délicieusement exotique lancée dans une quête pour la compréhension et
la connaissance. Bizarrement, et alors que je ne suis pas très sûre
d’avoir tout compris des expériences de Zak, c’est parce que j’avais
envie de savoir ce qu’il allait arriver à Roi que j’ai persisté dans la
lecture d’un début de roman somme toute laborieux. Peut-être un coup
d’œil au site de l’auteur aidera-t-il
les lecteurs plus à l’aise que moi en physique ou en mathématiques (ce
n’est pas difficile !) à comprendre ces chapitres. L’article intitulé « The Big Idea », paru en juillet sur le blog de John Scalzi a le mérite d’éclaircir parfaitement les choses : « Incandescence est
né de l’idée selon laquelle la théorie de la relativité générale, qui
de manière générale est considérée comme l’un des sommets de la réussite
intellectuelle de l’humanité, aurait pu être découverte par une
civilisation préindustrielle ne possédant ni machines à vapeur, ni
lumières électrique, ni postes de radio, et absolument aucune tradition
astronomique. » Les chapitres pas vraiment digestes du début montrent
donc nos héros en train de réinventer Newton et Einstein avec des
cailloux et des bouts de ficelles. Personnellement, l’idée m’amuse
beaucoup même si je suis incapable de suivre le détail des expériences.
Mais passé ce début, et une fois dans le livre, on a, comme Rackesh,
envie de savoir qui étaient les ancêtres de Roi et comment leur petit
astéroïde s’est retrouvé en orbite autour d’un trou noir. Les choses se
corsent de manière délicieuse lorsque Roi et Zak comprennent que le sort
de leur peuple dépend de leurs recherches. Voir des créatures à six
pattes tenter d’empêcher leur monde de disparaître tout en réinventant
les lois de la physique est un plaisir dont on ne saurait se passer.
Car si les héros des deux intrigues ne se rencontrent pas à la
manière que l’on attendrait, ils ont des points communs évidents. Pour
des gens comme Rakesh, la connaissance et la découverte de la nouveauté
sont tout ce qu’il reste à des êtres qui ont résolu l’ensemble des
problèmes de la survie immédiate. Pour Roi, Zak et leurs équipiers, la
survie tout court dépend de leurs recherches, et la curiosité
intellectuelle de Roi, qui l’encombrait avant sa rencontre avec Zak,
s’avère vitale. Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que dans un cas
comme dans l’autre, on assiste, ni vu ni connu, à la disparition du
politique au sens large : dans la civilisation de l’Amalgame,
l’abondance des biens et des connaissances permet à tout individu de
vivre la vie qu’il désire en toute liberté sans avoir à participer aux
intrigues et aux querelles de palais qui remplissent des dizaines de
romans. Pour les créatures du Splinter, c’est la biologie qui détermine
les structures de base de la société et qui dirige ses mœurs : les
intrigues de palais n’y ont probablement jamais existé, et l’action
collective est rapide, y compris lorsqu’un changement radical s’avère
nécessaire. Comme souvent chez Greg Egan, le lecteur est libre d’en
tirer les conclusions qu’il désire.
Et ledit lecteur peut passer outre un début de roman plutôt maladroit
et peu digeste en sachant qu’en fin de compte, il pourra vivre une
aventure de l’esprit autour du thème de la connaissance et une aventure
spatiale mouvementée autour d’un trou noir – par ces temps de disette
science-fictive, c’est un plaisir qu’on ne saurait bouder.
Les mathématiques et la littérature ont toujours fait bon ménage, comme l'avait déjà démontré en son temps Alexandre Dumas avec Les Trois mousquetaires,
qui étaient quatre. Ce troisième recueil de l'intégrale raisonnée des
nouvelles de Greg Egan, précédemment annoncé comme le dernier, sera
finalement suivi d'un autre, incluant ses plus récents écrits, du fait
de l'insertion ici de textes qui ne figurent pas dans son équivalent en
langue anglaise. À défaut d'être normal, c'est au moins logique dans la
mesure où les nouvelles retenues découlent parfois l'une de l'autre ou
ont des thématiques parentes qu'on retrouve, déclinées sur des modes
apportant des éclairages différents. « Les Entiers sombres » fait même
directement suite à « Radieux », dans le précédent volume.
La première thématique récurrente tourne autour des désirs
transhumains déjà à l'œuvre dans une grande partie de l'œuvre : les
désirs de perfection et d'immortalité permettent à nouveau de
vertigineuses interrogations philosophiques et métaphysique, que Sylvie
Denis avait déjà mis en lumière dans son excellent article sur « Greg
Egan, un moraliste à l'heure du choix ». Ainsi, dans « Fidélité », un
couple désire figer leurs neurones pour toujours éprouver ce bonheur
d'être ensemble. Mais le simple fait d'envisager cette intervention
n'est-elle pas un début de flétrissure de leur amour ? Et d'ailleurs, à
quel moment précis convient-il de verrouiller leur esprit : après
l'amour ou dans le désir né de l'attente, dans le plaisir d'activités
menées en commun ou la joie de retrouvailles ? De même, « LAMA »,
langage immersif d'analyse et de manipulation d'affect, utile aux
réalités virtuelles, doit-il être implanté aux enfants, si malléables ?
Il condense et traduit parfaitement les expériences humaines, jusqu'à
générer une force suggestive qu'on dit meurtrière. Mais l'apprentissage
de n'importe quel langage est un formatage et lavage de cerveau.
L'enquête et la réflexion sur le langage, les expériences réelles et
virtuelles, est proprement fascinante. D'autres innovations
technologiques à des fins commerciales se révèlent néfastes :
« Mortelles Ritournelles » présente les mélodies assurées de s'incruster
dans l'esprit des gens pour y délivrer leur message publicitaire, au
risque de rendre fou ; « Yeyuka » met en scène un médecin humanitaire à
la santé protégée par le dernier cri technologique, dont ne disposent
pas les cancéreux qu'il soigne en Ouganda : autour du pillage de savoir
parmi les populations pauvres, de l'absence de recherche des maladies
peu rentables, de l'absence d'imagination des bénévoles à trouver des
solutions, cette intrigue, si elle manque de force, reste une
dénonciation des comportements occidentaux face aux plus démunis qui
pousse à réfléchir.
Au-delà de la question de la maladie se profile celle liée à
l'immortalité. Dans « Le Réserviste », elle se base sur les greffes
d'organes de clones cultivés à cet effet, au cortex atrophié, des êtres
moins évolués qu'un mammifère afin de ne pas contrevenir aux lois
éthiques ; ce sujet classique est doublé avec celui de la
transplantation du cerveau et des difficultés d'appropriation d'un corps
qui n'a jamais bougé, regardé, parlé. « Poussière » constitue l'étape
suivante : avec la numérisation de l'individu, le récit pose la question
de la numérisation du monde, du rapport au temps dans un espace virtuel
qui ne présente plus de continuité (la conscience se « réveille » à
chaque allumage) et donc de la causalité. Cette nouvelle, qui a inspiré
le roman La Cité des Permutants, pointe des
interrogations qu'on retrouve dans « Gardes-frontières », qui ouvre le
recueil sur une stupéfiante partie de football quantique dans un autre
univers numérique où violence et mort sont bannies. « La mort n'a jamais
donné un sens à la vie : ça a toujours été l'inverse », y lit-on.
Et c'est peut-être pour cette raison que la recherche de la vie,
voire la création de vie nouvelle, occupe une part non négligeable dans
ces récits : les immortels, robots ou copies numériques des humains
restés sur Terre, voyagent dans l'espace à la recherche d'une vie
extraterrestre, qu'ils découvrent dans « Les Tapis de Wang ». Dans
« Océanique », il est question de la création d'un nouvel écosystème,
une écopoïèse, par les humains exilés sur un nouveau monde, et
d'ailleurs sensiblement modifiés. Autre création dans « Singleton », un
ordinateur quantique s'incarne dans une enveloppe physique. S'agit-il
d'une vraie personne ? Les questions existentielles se compliquent par
le fait que le couple de chercheurs comble avec l'iada un désir d'enfant
inassouvi. Cette nouvelle découle de « Oracle », où la question
d'enfants issus d'Intelligence Artificielle est évoquée. Mais les deux
nouvelles reposent surtout sur les univers multiples que les
mathématiques permettent d'envisager, qui débouchent sur des vies
cachées dans des univers parallèles : ici, une visiteuse d'un futur
parallèle vient sauver la mise au protagoniste ; dans « Le Continent
perdu », un jeune homme originaire du Khurossan, équivalant à notre
Afghanistan, est projeté dans un monde où des militaires qui fleurent
bon les USA le traitent, comme d'autres, avec une cruelle indifférence.
Les entités de l'univers parallèle évoqué dans « Les Entiers sombres »
restent, elles, invisibles, ce qui ne les empêche pas, en se livrant à
la démonstration de lois mathématiques, de mener une guerre dans notre
univers.
Car c'est bien de mathématiques qu'il est tout le temps question à
travers l'ensemble du recueil : la numérisation, le calcul, autorisent
ces dérives transhumaines, on pourrait dire ces transhumances vers une
décorporation totale. La plupart des personnages sont des matheux. Mais
le fondement même des mathématiques comme description et interprétation
du réel est interrogé à maintes reprises dans une perspective
métaphysique : « il n'existe pas de processus physique qui ne fasse pas
d'arithmétique sous une forme ou une autre », est-il dit dans « Les
Tapis de Wang ». Et si elles cessaient d'être exactes à un certain
niveau, que leur précision devenait floue comme le sont la matière et
l'énergie dans la théorie des quanta, quel univers en résulterait-il ?
C'est l'idée fascinante déjà développée dans « Radieux » que reprend
Greg Egan dans « Les Entiers sombres » autour d'une guerre à laquelle se
livrent les entités d'un univers miroir à coups de démonstrations
mathématiques modifiant le curseur des lois physiques à leur avantage.
Les effets de la discontinuité sont aussi évoqués dans « Poussière » où
le vieux principe de causalité s'efface au profit des motifs permettant
une meilleure appréhension du réel. Le mathématicien devient un démiurge
faustien aux yeux du philosophe croyant, ce qui débouche, dans
« Oracle », à une superbe dispute métaphysique autour du théorème
d'incomplétude de Gödel. La question de la foi avait déjà été abordée au
détour de maints récits : elle est au centre d' « Océanique », où celle
en Béatrice qu'adorent les Océaniens suscite chez le narrateur un doute
croissant, celle-ci pouvant également être expliquée chimiquement. Des
mathématiques différentes sont ici aussi évoquées, qui engendreraient
des mondes différents.
Dédoublements, miroirs, récursivités, discontinuités, les
interrogations de Greg Egan à partir des mathématiques débouchent sur
des intrigues d'autant plus passionnantes que les interprétations du
réel sont toujours examinées à l'aune de l'humain, quand bien même
celui-ci ne serait plus que pur esprit ou évoluant dans un décor
numérique. Egan développe des intrigues s'adressant à l'intellect et qui
culminent à des hauteurs métaphysiques proprement fascinantes, comme le
laisse entendre la magnifique couverture de Nicolas Fructus. Un seul
reproche, mineur : l'ordre des nouvelles aurait dû être revu de façon à
ne pas rebuter d'emblée le lecteur peu familier de son œuvre. Suivre
l'ordre chronologique de publication en s'aidant de la bibliographie, au
moins pour les quatre premiers textes, permettrait de s'embarquer avec
plus de sérénité en compagnie de cet auteur décidément magistral.
Le dernier roman traduit de Greg Egan suit la trajectoire de deux
personnages : en 2012, Nasim Golestani, Iranienne exilée aux Etats-Unis,
travaille sur le PCH, un projet de cartographie des cerveaux, et Martin
Seymour, journaliste à Téhéran au moment où un scandale politique
entraîne la fin du régime des ayatollahs. La cartographie pourrait
permettre de lire les pensées, voire de dupliquer une personnalité : le
lecteur qui a La Cité des permutants en tête attend de
voir dans quelle direction se développera l’histoire ; le petit air de
déjà vu est compensé par une étude plus fouillée des difficultés, qui ne
sont pas que technologiques ou éthiques mais aussi financières. Greg
Egan fournit ici une description assez réaliste et décourageante des
arcanes des milieux scientifiques.
Contre toute attente, le roman s’attache pourtant à la trajectoire de
Martin, lequel tombe amoureux de la culture iranienne en même temps que
de Mahnoosh, une opposante au régime des mollahs avec qui il refait sa
vie et a un enfant, Jareed. La seconde partie, qui occupe les deux tiers
du roman et se déroule quinze ans après la révolution, dans un proche
futur, donc, s’ouvre sur un drame qui va opérer le lien entre les deux
intrigues : Nasim, parente de Mahnoosh, est retournée en Iran après la
révolution et développe un système de jeu d’immersion virtuelle,
Zendegi, dont le principal avantage est la fluidité et le haut degré de
réalisme, jeu dans lequel elle injecte ses travaux sur le PCH en
réalisant des personnages virtuels quasi autonomes. Martin sait que son
fils sera appelé à vivre avec la famille d’Omar, ami de longue date,
mais n’est pas persuadé que ce dernier lui transmettra les valeurs
auxquelles il est attaché. D’où le projet fou de l’éduquer jusqu’à sa
majorité en se scannant le cerveau pour devenir un partenaire de jeu
dans Zendegi. C’est donc une course contre la montre qui commence,
encore contrariée par des factions réclamant l’autonomie des logiciels
conscients, et des sabotages destinés à ruiner Zendegi dont il faut
rapidement trouver les auteurs.
Si les vertigineuses interrogations métaphysiques sont bien évoquées,
elles sont à peine approfondies, au risque de désarçonner le lecteur.
L’auteur privilégie clairement la dimension humaine du récit, réellement
poignante. L’impression de dispersion qui résulte d’une intrigue
apparaissant tardivement donne à la charpente du roman la colonne
vertébrale d’une girafe, avec les apparentes digressions, pourtant
nécessaires, de la première partie, étirant le roman jusqu’au démarrage
effectif à mi-chemin du livre. En réalité, c’est avec brio que l’auteur
déjoue les attentes de son lectorat sans cesser de spéculer sur les
mêmes thèmes, à un niveau plus profond, de façon moins spectaculaire
sans doute, mais assurément plus subtile. Dès le départ, l’auteur
annonce la couleur : exit les facilités de la culture dominante, Martin
bazarde ses disques rock, qu’il troque pour des versions numériques
nettoyées au résultat, et c’est un indice, finalement décevant, tandis
que les classiques intrigues de numérisation de cerveaux sont
contrariées par les manques de budget. A la place, il propose une
plongée dans la culture de la Perse antique, avec de fascinants jeux de
miroirs où réel et virtuel s’interpénètrent (car c’est une adaptation
d’un célèbre poème épique de l’an mil, le Shâh Nâmeh, qu’on découvre
dans Zendegi), les décors orientaux devenant les
fractales exotiques répétant les motifs récurrents du récit, chacun
éclairant l’autre de façon fascinante. En mariant davantage spéculations
audacieuses et intrigue intimiste, Greg Egan devient accessible à un
plus grand nombre de lecteurs, mais sa virtuosité est intacte. Ajoutons
que le roman, écrit avant les révolutions arabes, présente un Iran mal
connu mais réaliste, l’auteur ayant fait le voyage pour s’imprégner de
sa culture.
Cérès et Vesta, les deux plus gros astéroïdes de la Ceinture, entre
Mars et Jupiter. Vesta est un gros rocher, Cérès une boule de glace.
Chacun est riche de ce dont l’autre manque ; chacun doit donc échanger
pour pouvoir exister. Différentes géologiquement, les deux entités le
sont aussi sur le plan politique. Alors que Cérès abrite une société
libérale et tolérante, Vesta, qui l’a aussi longtemps été, a cédé depuis
à un populisme revanchard et anti-intellectuel qui martèle comme une
évidence l’existence d’une dette fondatrice qu’aurait une partie de la
population envers les autres parties. Le trouble agite Vesta, entre
tensions « racistes », « terrorisme » à bas bruit, contestation de la
discrimination, ou soumission à celle-ci dans l’espoir d’un solde de
tout compte. Rien d’étonnant alors si des milliers de réfugiés fuient
Vesta pour Cérès, un voyage de plusieurs années, long et dangereux, qui
emprunte les mêmes voies de communication que le commerce
interastéroïde. Sur Cérès, on accueille bien volontiers ces réfugiés,
même si on les connaît peu. Le temps et la bonne volonté permettent de
donner nom et visage à ceux qui n’avaient qu’un statut. Mais voilà qu’un
jour, Vesta, pour récupérer des ennemis politiques embarqués sur un
vaisseau à destination de Cérès, menace de provoquer la mort de tous les
réfugiés en transit, bien plus nombreux. Bluff ou pas ? Et si c’est
vrai, que faire ? Comment choisir entre les 4000 et les 800 ?
Avec ce texte, finaliste aux prix Sturgeon et Hugo 2015, Egan ne peut
pas être davantage dans l’actualité. La ressemblance entre la situation
décrite au-dessus et celle de notre monde est criante. C’est donc un
texte politique que livre Egan, auteur originaire d’un pays qui gère par
l’éloignement son problème de réfugiés. Il pourra peut-être ainsi
toucher des lecteurs qui ne liraient pas de textes contemporains sur la
question et montrer que la SF prend position dans le débat public.
Egan remet aussi au goût du jour un classique de l’éthique : le
dilemme du tramway. Il se formule ainsi : si un tramway n’a que deux
choix, continuer sur sa voie et écraser dix hommes, ou dévier pour aller
sur une autre voie où ne se trouve qu’un seul homme, que doit faire le
conducteur ? Expérience de pensée qui est motif à discussions sans fin
(et qui revient en force avec les choix que devront faire les voitures
autonomes), le dilemme a une solution utilitariste simple : mieux vaut
tuer un que dix. Il se raffine à l’infini si on suppose des individus de
valeurs différentes, la première des questions étant celle de la
possibilité d’une évaluation éthique de la valeur individuelle, et met
en évidence les apories d’une pensée utilitariste pure. C’est à ce
dilemme qu’est confrontée Anna, responsable du port de Cérès, en raison
du chantage exercé par les Vestiens. S’y mêle l’incertitude sur la
réalité de la menace et les propres sentiments d’Anna à l’endroit des
réfugiés vestians. Nul n’aimerait être à sa place ; il faudra pourtant
décider…
Ce texte riche est, comme toujours chez le brillant Greg Egan, une
vraie nourriture pour l’esprit. On pourra néanmoins regretter que les
personnages n’aient pas plus de temps pour prendre chair, en dépit de
tentatives méritoires de l’auteur pour aller dans ce sens. Il y manque
quelques pages.