FIBD 2020 — Cette édition 2020 du Festival international
de la bande dessinée aura été contestataire, plus que jamais. Par les
mobilisations des auteurs, ce vendredi 31 janvier, bien sûr, mais aussi
tout au long de l’événement : quelques heures avant la venue d’Emmanuel
Macron à Angoulême, des affiches ont fleuri dans la ville, affichant
« LBD 2020 », plutôt que « BD 2020 », au-dessus de personnages éborgnés…
Dessin de Witko (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Un simple
selfie aura suffi à rendre l’image célèbre : le Fauve
d’Angoulême, mascotte du festival, porte un sparadrap sur un oeil
ensanglanté, sous le slogan « LBD 2020 ». Cette illustration, signée par
Loïc Sécheresse, a été créée pour le journal contestataire
LBD 2020, distribué gratuitement dans les rues d’Angoulême depuis le début du festival.
Dans les 16 pages de la revue, d’autres illustrations tout aussi
marquantes, qui en choqueront sans doute certains : elles n’épargnent ni
la police, ni les différentes figures politiques, en particulier
Emmanuel Macron et Christophe Castaner.
Dans les pages de LBD 2020 (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
L’initiative a vu le jour au sein d’un groupe Facebook, intitulé
Autrices Auteurs en Action, un mouvement spontané né très rapidement,
sans lien avec les organisations syndicales ou professionnelles. 800
inscrits et une pétition publiée dans le journal Libération plus tard,
le groupe s’est fait connaitre en proposant un boycott de plusieurs
événements culturels en 2021, si le rapport Racine n’est pas suivi
d’effets.
«
Au sein de ce groupe, les plus radicaux, ceux qui voulaient sortir
de la problématique bande dessinée pour parler du gouvernement, des
violences policières et plus largement de la politique, ont proposé LBD 2020 », nous explique JC Menu, membre du comité de rédaction de la revue. «
Nous
nous sommes retrouvés à 7 dans le comité, nous avons fait un appel à
projet et en une semaine nous avons bouclé un 16 pages, imprimé en
offset à Angoulême en 3000 exemplaires et distribué gratuitement. »
JC Menu, lors d'une assemblée générale d'auteurs à Angoulême (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Un geste contestataire nécessaire, pour l’ensemble du comité de
rédaction et la trentaine d’auteurs qui ont participé à la revue, réunis
sous le nom « Section Patachon ». «
J’en avais assez des artistes
isolés des autres manifestants, des gilets jaunes et autres. Au sein du
groupe AAA, certains n’étaient pas d’accord pour le Fauve éborgné, ils
pensaient que cela allait brouiller le message. Nous, nous avons voulu
aller plus loin, parler des violences policières, car l’état de droit
est bafoué, violé par le président », affirme JC Menu.
Une initiative d'auteurs pour les citoyens
Dans la nuit de mercredi à jeudi, et peu avant l’arrivée d’Emmanuel
Macron, des affiches reprenant les illustrations se sont retrouvées dans
les rues d’Angoulême, en guise de comité d’accueil. «
La majorité a été enlevée très rapidement », constate Nikola Witko, auteur résidant à Angoulême, qui a pu coordonner plus facilement des actions. «
Au départ, le groupe AAA ne voulait porter que les droits des auteurs, nous avons jugé qu’il se passait des trucs plus graves. »
À Angoulême, Witko a croisé la route du groupe Initiatives Citoyennes du Grand Angoulême (ICGA), qui publie le journal
Le réveil citoyen.
Créé il y a un an et demi pour réunir Gilets Jaunes et autres
contestataires, le groupe accueille tous les citoyens, évoque la
politique, l’actualité sociale, l’écologie et l’environnement dans sa
revue. Et s’est joint à l’initiative, en distribuant des illustrations
de
LBD 2020 aux visiteurs du FIBD et en ouvrant une cagnotte au profit des auteurs.
Sur le stand de l'IGCA (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Tout le FIBD aura été traversé par les manifestations, dans une ambiance parfois tendue. «
La
situation a empiré depuis l’élection de Macron. Il y a 5 ans, j’étais à
Angoulême après le massacre de Charlie Hebdo, on est passé depuis de “Je suis Charlie”
et
du soutien à la liberté d’expression à quelque chose de plus menaçant,
des lois de surveillance des réseaux sociaux, la police partout, des
journalistes emprisonnés, un délit de participer à une manifestation… Il
était temps que les auteurs s’y mettent », tranche JC Menu.
La venue d’Emmanuel Macron à Angoulême aura été marquée par une
photographie, apparue sur les réseaux sociaux : le chef de l’État y
apparait derrière un t-shirt LBD 2020, tout sourire, aux côtés de
l’auteur Jul, après un déjeuner entre auteurs, éditeurs et Macron. «
Il
y a eu des débats sur le groupe quant à aller à ce déjeuner, cette
photo est la preuve qu’il ne fallait pas y aller. Jul se retrouve sur le
même plan que Macron, derrière cette image, avec le même sourire : ça
veut dire qu’ils sont dans le même camp. Et ce matin, je vois mon
ex-camarade Trondheim à ses côtés en une de la Charente Libre, je suis
furieux. Ce genre de posture brouille notre message », estime JC Menu.
Angoulême un matin, pendant le FIBD (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Les avis du comité de rédaction ne diffèrent pas tellement : «
La réunion de travail, le jeudi matin [avec Franck Riester et des auteurs, NdR]
, était utile, le déjeuner [avec Emmanuel Macron]
était putassier », souligne à son tour Nikola Witko.
Mise à jour 02/02/2020 :
Loïc Sécheresse, auteur de la fameuse image du Fauve éborgné, nous a contacté pour préciser que «
chacun lutte depuis sa place, avec ses propres moyens ». Il est également membre du comité de rédaction de la revue
LBD 2020.
Dossier : Le FIBD d'Angoulême 2020, l'édition de la contestation sociale