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À Angoulême, les auteurs font entendre “le début d'un mouvement social”



 
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À Angoulême, les auteurs font entendre “le début d'un mouvement social”




FIBD 2020 — Programmée et attendue par toute la profession, la mobilisation des auteurs a pris place dans la rue Hergé, à Angoulême, pendant une trentaine de minutes, avant une assemblée générale très suivie. Au coeur des revendications, les suites données au rapport Racine, qui évoque plusieurs pistes pour améliorer la situation des auteurs, mais aussi l'attention portée à la création dans un pays comme la France.
Mobilisation des auteurs - FIBD 2020
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
À Angoulême, ce 31 janvier, stylos posés et auteurs debout : comme prévu, ils se sont réunis rue Hergé, au coeur du trajet emprunté par les festivaliers, pour témoigner d'une certaine détresse, mais aussi d'une volonté de faire valoir leurs droits et d'obtenir des améliorations de leur statut fiscal, social, voire de leur rémunération.
Une mobilisation plus qu'une manifestation, avec peu de chants ou de slogans, et un déplacement très limité du cortège. Les auteurs voulaient surtout se réunir, et porter un message, à la fois auprès du public et des médias. « Ce n'est pas une grève », explique l'un d'entre eux, « car nous ne sommes pas rémunérés, de toute façon, pour notre présence en festival. Nous levons le crayon pour alerter. »
50 % de la profession dont les revenus atteignent tout juste le SMIC et 30 % qui vit sous le seuil de pauvreté : les constats accablants avaient été posés par les États Généraux de la Bande Dessinée, il y a quatre ans, à l'initiative d'auteurs. « Les conclusions du rapport Racine, cela fait longtemps qu'on les connait. Elles enfoncent le clou, mais il faut qu'il se passe quelque chose, on a besoin de concret », souligne Aurélie Neyret, illustratrice.
Le rapport de Bruno Racine, remis au ministre de la Culture Franck Riester, cristallise les espoirs des auteurs : bien accueilli par la profession, il aborde les principaux points qui rendent leur situation précaire. Droits d'auteur et avances en baisse, cotisations sociales en hausse, système de retraite dysfonctionnel, surproduction dans le marché du livre... Tout est passé en revue.

Difficultés des auteurs, santé de l'édition

Dans le cortège, à Angoulême, de nombreux auteurs soulignent le déséquilibre flagrant observé depuis plusieurs années. Tandis que le marché de la bande dessinée est sans cesse présenté comme dynamique (555 millions € en 2019, en croissance de 9 %) et que l'édition se porte bien, globalement, les auteurs voient leur situation stagner.
« Nous étions déjà là pour les manifestations en 2016 et depuis, rien n'a bougé, au contraire. C'est même un gros foutage de gueule au niveau de nos retraites et de la manière dont les éditeurs prennent en charge le temps de création », relève Cédric Mayen, scénariste.
« Pour les éditeurs, nous n'existons qu'au moment où l'album sort, le temps de création ou le savoir-faire ne sont jamais pris en compte. Nous demandons à être payés à la création de nos oeuvres, et ensuite à toucher des droits d'auteur à la diffusion. Pour l'instant, les éditeurs nous font un prêt, en estimant leur seuil de rentabilité, et c'est là qu'ils nous payent, avec une avance. »
Mobilisation des auteurs - FIBD 2020
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Son confrère Nicolas Keramidas, dessinateur, acquiesce : « J'ai fait 18 albums, qui ont bien marché, mais les ventes se cassent la gueule. Mes avances me permettent d'en vivre, mais je n'en vis pas plus que ça : si j'arrête de produire pendant 2 ans, c'est dead. » Comme d'autres, Keramidas a vu le marché de la BD enfler, et les ventes de ses albums s'effondrer en parallèle.
« Les à-valoirs de plus en plus faibles, les impressions aussi, avec énormément de parutions : nous sommes noyés dans la masse, les albums restent peu de temps dans les librairies : c'est très difficile de s'en sortir avec ça », reconnait aussi Khaled Afif, auteur depuis 20 ans et contraint de cantonner la BD au dimanche pour, la semaine, exercer un deuxième emploi, dans l'illustration et la communication.
Et pour cause : entre 2000 et 2016, le nombre de nouveautés a été multiplié par 3,8 dans le secteur de la bande dessinée contre 1,7 pour l’ensemble du secteur du livre. En 2018, on comptait quelque 5300 nouveautés...
Illustratrice depuis 6 ans, Amélie Carpentier remarque « une grande disparité entre le monde dans lequel nous évoluons et ce que nous gagnons : nous travaillons avec de chic éditeurs, de chics magazines, de chics marques, mais ce qui retombe dans notre poche est très faible, alors que la création repose sur nous ».

Sans auteurs, pas de livres, de festivals, d'éditeurs, de librairies...

L'auteur comme premier maillon de la chaine du livre : cette évidence doit être rappelée, selon de nombreux mobilisés à Angoulême. « Aujourd'hui, bien s'en sortir en tant qu'auteur est une question de chance, il n'est pas normal que l'édition française se porte extrêmement bien et que tout le monde en profite sauf nous », observe Benjamin Lacombe, qui s'estime faire partie des « chanceux » que le succès a mis à l'abri des difficultés.
« Et encore, même en cas de succès, on ne peut pas compter sur notre système de retraite », ajoute Aurélie Neyret. Le rapport Racine a en effet repéré un dysfonctionnement dans le système de retraite des auteurs, qui en privent certains de pensions, purement et simplement. « Nous l'avions remarqué un peu avant le rapport, mais nous n'avons pas voulu paniquer tout le monde », reconnait Denis Bajram, auteur et coordinateur des États Généraux de la BD. « C'est un énorme dossier, un véritable désastre : ma retraite pleine, par exemple, elle est à 75 ans aujourd'hui. »
Le manque de considération pour les professions littéraires a laissé des marques, et la plupart des auteurs n'auront aucun scrupule à boycotter des événements à l'avenir, en cas d'absence de mesures concrètes. « Mais notre pouvoir de nuisance reste limité », relève Benjamin Lacombe : « Si l'on arrête de travailler chez nous, nous allons juste nous mettre en retard », termine Aurélie Neyret.
Mobilisation des auteurs - FIBD 2020
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)

Le grand public reste sensible à la cause des auteurs, tout comme d'autres acteurs du monde du livre, les bibliothécaires, les libraires, et même des éditeurs. Si le Syndicat national de l'édition reste circonspect face au rapport, ceux du Syndicat des éditeurs alternatifs affichent un soutien plus franc : quelques stands d'éditeurs, comme celui de la maison Biscoto, ont fermé le temps de la mobilisation. « Nous avons montré notre soutien d'autres manières, notamment par la caisse de grève, car ce mouvement reste celui des auteurs avant tout », souligne Jean-Louis Gauthey, des éditions Cornélius.
« Être soutenu par son éditeur change tout, pour un auteur », assure Amélie Carpentier, publié par Biscoto : « Notre éditrice nous propose un bon pourcentage dès le départ, alors que dans d'autres maisons, surtout les plus grandes, il faut se battre en permanence, c'est toujours au rabais. »

Le début d'une mobilisation durable

Après la mobilisation, au coeur d'une assemblée générale bien plus suivie que celle des jours précédents, les auteurs ont pu ensemble faire le tour du rapport Racine ou encore évoquer les mobilisations des derniers jours. « On remarque que des gens qui ne sont pas syndiqués en temps normal participent, c'est le signe de quelque chose », relève Samantha Bailly, elle-même impliquée dans la Ligue des auteurs professionnels en tant que vice-présidente.
En quelques semaines s'est en effet monté un groupe d'auteurs sans lien avec les syndicats ni les associations, le AAA, pour Autrices Auteurs en Action. À Angoulême, ce 31 janvier, des instituteurs ont rejoint le cortège, reconnaissant par là même une proximité avec les revendications sociales des auteurs : « Dans l'esprit, je suis avec les grévistes d'aujourd'hui : je me sens d'ailleurs plus compatissante avec les autres, j'aurais tendance à me marginaliser, car nous sommes marginalisés depuis toujours », remarque Amélie Carpentier.
Mobilisation des auteurs - FIBD 2020
Après la mobilisation, l'Assemblée générale (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Dans les 15 prochains jours, le ministère de la Culture devrait affiner ses propositions, pour révéler un premier plan d'action qui suivra le rapport Racine. « Globalement, les auteurs et autrices sont toujours en colère, car, malgré les annonces politiques, nos vies n'ont pas changé, entre la rémunération, les contrats, les bugs de l'Urssaf, les préjudices de l'Agessa », résume Samantha Bailly.
L'épisode de la venue de Macron au festival d'Angoulême – le temps de visites et d'un déjeuner avec certains auteurs et éditeurs –, n'aura pas fait baisser la garde. Certains s'étonnent tout de même d'une possible avancée sociale pour les auteurs sous un gouvernement pas vraiment réputé pour ce genre d'action. Le début de l'année BD 2020 aura en tout cas été sérieusement perturbé par les mouvements sociaux, tant des opposants à la réforme des retraites que des auteurs.
« Les auteurs sont vraiment déterminés à multiplier les actions, à boycotter, jusqu'à obtenir gain de cause : le début de l'année de la BD est aussi celui d'un mouvement social, selon que nous obtenions des avancées ou non. »
Dossier : FIBD 2020 et BD 2020, deux motifs de mobilisation pour les auteurs

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