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Aux origines était le blues...


Des tripots clandestins du Sud des États-Unis aux scènes mythiques des quatre coins du monde, le blues aura connu un essor fulgurant au XXe siècle ! Aujourd'hui considéré comme le père du rock, du jazz ou de la soul, le genre continue de tracer sa route et fera escale à La Charité-sur-Loire, dans la Nièvre, où le festival Blues en Loire propose de découvrir des pointures du genre vendredi 26 et samedi 27 août 2011.

Le blues, état d'âme de toute une communauté

Difficile de définir le blues en quelques mots... Soit, certaines caractéristiques musicales le différencient des autres styles de musique mais l'important et ailleurs. Peut-être dans cette définition que le chanteur Little Brother Montgomery donnait dans son morceau First time I met the blues, au début du XXe siècle : "La première fois que j'ai rencontré le blues, il marchait à travers les bois / Il frappa à ma porte et me fit le plus de mal qu'il pût / Maintenant le blues m'en veut et me poursuit d'arbre en arbre / Tu aurais dû m'entendre implorer : "M. Blues, ne m'assassine pas !" / Tu es avec moi dès le matin, mais aussi chaque nuit et chaque après-midi". Le blues serait ainsi avant tout un état d'âme, qui présente toutefois la particularité d'exprimer le mal-être de toute une communauté...

Ainsi le définit en tout cas Gérard Herzhaft, auteur de La Grande encyclopédie du blues*... "Le blues est aujourd'hui une musique reconnue, appréciée et pratiquée dans le monde entier. Mais pendant longtemps, celui-ci a essentiellement été le véhicule chanté et joué de la communauté noire du Sud des États-Unis. Pauvres, méprisés, illettrés, exploités et rejetés par un système ségrégationniste très dur, les Noirs ont vécu le blues et ne l'ont pas choisi. L'histoire du blues, son évolution, ses mutations successives sont inséparables de la longue remontée à la surface du peuple noir américain pour qui, pendant plusieurs décennies, le blues a été plus qu'une musique, son principal moyen d'expression, jouant dès lors un rôle sociologique et psychologique communautaire".

Les chants d'esclaves, forme originelle du blues ?

Quand et comment le blues est-il né ? En général, la réponse fait l'unanimité : il provient des chants des esclaves noirs du Sud des États-Unis. Dans son Journal d'un séjour dans une plantation de Géorgie, l'actrice anglaise Fannie Kemble, mariée à un riche planteur de Géorgie, donne par exemple ses impressions sur les chants d'esclaves : "Les chansons des Noirs sont extraordinairement sauvages et difficiles à relater. La manière dont le chœur éclate entre chaque phrase de la mélodie que chante une voix soliste est très curieuse et efficace".

Elle précise également la fonction de ces chants : rythmer le travail et le faire apparaître plus léger. Ce qui fera d'ailleurs dire - sans ironie - au congressiste Daniel De Jarnette, revenant en 1860 d'un voyage dans les plantations du Sud : "Les nègres des plantations chantent en travaillant. Je l'affirme : il y a plus de joie de vivre et de bonheur sans nuages chez les esclaves du Sud que parmi aucune autre population laborieuse du globe". Pour Gérard Herzhaft, "le chant traditionnel africain, avec un soliste et le répons en chœur du groupe, a semble-t-il été transposé tel quel sur les plantations américaines. Il s'agit, bien entendu, des work-songs, encore employés jusque vers 1960 dans les pénitenciers du Sud pour repris de justice noirs". Bien que cette forme ait joué un rôle très important dans l'élaboration du blues, il est toutefois trop rapide de considérer que le style existait déjà au temps de l'esclavage. La naissance du blues proprement dit se situerait probablement à l'extrême fin du XIXe siècle où à l'aube du XXe...

Du chant de travail au chant de "divertissement"

La fin de la guerre de Sécession en 1865 et l'occupation du Sud par les nordistes ont amené dans une large mesure la disparition des plantations d'un seul tenant et le morcellement en petites fermes. Dans le même temps, les chaînes d'esclaves travaillant attachés les uns aux autres et reprenant en chœur les work-songs d'un leader étaient démantelées. A leur place se développa le chant d'un cultivateur solitaire guidant sa mule ou tirant son araire, saluant le sifflement d'un train dans le lointain ou le bruit du vent dans les branchages, improvisant sans contrainte autre que celle de la tradition nichée au cœur de son inconscient...

D'autre part, ceux qui choisirent - ou durent - abandonner les travaux agricoles formèrent rapidement un sous-prolétariat urbain et misérable. En outre, l'existence de cette catégorie sociale créait une extraordinaire demande de divertissements : débits de boissons, salles de jeux, tripots clandestins, maisons closes avec, partout, de la musique. Très vite, une catégorie sociale est apparue dans ces nouvelles communautés noires : celle de musicien, aveugle ou handicapé, inapte au travail manuel... Très souvent itinérant, le musicien, raconteur d'histoires, chanteur de chansons, passait de village en village, distrayant ouvriers et contremaitres, travailleurs agricoles et forestiers, en échange du gîte, du couvert et d'une bouteille de whisky.

"Parallèlement, les chanteurs élaborent alors, sur le modèle des ballades populaires d'origine anglo-saxonne, de véritables chansons de geste qui parlent des hommes noirs aux hommes noirs. Tel fait divers, telle personnalité, tel quartier de telle ville, tel brigand donnent matière à une ballade qui sera colportée dans les villes et villages du Sud", précise Gérard Herzhaft. Et c'est ainsi que, quelque part au début du XXe siècle, du fermier solitaire, du pianiste de tripot et du chanteur itinérant, le blues a surgi.

L'industrie du disque découvre le blues

Le développement rapide du parc des gramophones portables - et donc du marché du disque - immédiatement après la Première guerre mondiale poussera ensuite les compagnies de disques américaines à élargir leur production, jusqu'alors réservée aux amateurs de musique classique et de variétés. A cette époque, Chicago et surtout le quartier de Harlem, à New York, comptaient déjà une importante population noire, grossie encore par l'économie de guerre. "Certaines familles installées parfois depuis fort longtemps formaient une petite bourgeoisie locale qui fréquentait assidûment les cabarets de Harlem où l'on distillait tous les soirs un blues - nostalgie du Sud - joué ou chanté dans un contexte de jazz - affirmation de son urbanité", note Gérard Herzhaft.

Dans ce contexte, le chef d'orchestre noir Perry Bradford, certain de trouver un important public local pour des disques de cette musique, entre en studio en 1920 pour enregistrer Crazy Blues... Le morceau aura non seulement un énorme succès à New York mais, à la surprise des producteurs, également parmi les Noirs du Sud dont les gramophones attendaient désespérément un disque qui soit proche de leur musique habituelle : le blues. Comme Crazy Blues se vend alors à 75.000 exemplaires par semaine, les autres compagnies saisissent rapidement l'importance du marché ainsi révélé et enregistrent à une cadence soutenue les premiers disques de blues... C'est l'heure de gloire pour des chanteurs et guitaristes tels que Blind Lemon Jefferson, Blind Blake ou encore Lonnie Johnson. "Ces enregistrements furent connus sous le terme de race records - musique raciale - car ils étaient destinés exclusivement au public afro-américain", explique Gérard Herzhaft.

L'explosion

Après la Seconde guerre mondiale, l'urbanisation croissante et l'utilisation des amplificateurs pour la guitare et l'harmonica menèrent à un blues plus électrique, le Chicago blues par exemple, qui ajoutait à la base classique du Delta blues - guitare acoustique et harmonica - des instruments comme la guitare électrique, la basse, la batterie, le piano, voire des cuivres... Ce blues électrique, porté par des artistes tels que Muddy Waters ou Howlin' Wolf, influencera par la suite une partie du mouvement rock'n'roll.

Les années 1960 furent celle de la réappropriation du blues par les musiciens blancs, notamment en Angleterre, où une nouvelle génération d'enthousiastes du genre apparaît... Les principaux acteurs de ce british blues boom sont les Yardbirds, les Bluesbreakers ou encore les Animals, qui comptent dans leurs rangs de nombreuses stars de la pop et du rock à venir telles que Jimmy Page, Eric Clapton ou Jeff Beck. Depuis les années 1980, le blues fait désormais partie de l'entertainment musical et des artistes tels que Robert Cray, Bonnie Raitt, Taj Mahal, Ry Cooder ou encore Ali Farka Touré attirent - ou ont attiré - les foules. Quand la musique d'une minorité devient porte-parole universelle...

Bibliographie

- Gérard Herzhaft, Le blues, Presses universitaires de France, 2008.
- Gérard Herzhaft, La grande encyclopédie du blues, Fayard, 1997.
- Stéphane Koechlin, Le blues, Librio, 2000.

Festival Blues en Loire
Vendredi 26 août, de 17h à minuit, et samedi 27 août 2011, de 11h à 23h30.
58 400 - La Charité-sur-Loire

Source de l'info DijOnScOpe

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